Laforgue, Jules (1860-1887)
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Biographie
Enfance
Jules Laforgue et son frère aîné Émile pensionnaires au lycée de Tarbes (1868). Né d'une famille qui avait émigré en Uruguay comme nombre de Pyrénéens espérant y faire fortune, il est le deuxième de onze enfants. Son père y avait ouvert un modeste établissement éducatif libre, dispensant des cours de français, de latin et grec ; après son mariage avec la fille d'un commerçant français, il se fit embaucher comme caissier à la banque Duplessis et où il finit par être pris comme associé.
À l’âge de six ans, Jules vient en France avec sa mère, ses grands-parents et ses cinq frères et sœurs, s'établir dans la ville de Tarbes d’où est originaire le père. Jules et son frère aîné Émile y sont confiés à des cousins. Entre 1868 et 1875, il est pensionnaire au lycée Théophile Gautier de Tarbes et s'y révèle un assez bon élève, mais sans excellence. Il a pour répétiteur Théophile Delcassé avec qui il restera en relation.
En octobre 1876, il rejoint à Paris sa famille, revenue entre-temps d’Uruguay en mai 1875, et s'installe au 66 rue des Moines. Sa mère meurt en couches en avril 1877 alors qu’il a 17 ans. Son père, souffrant, retourne à Tarbes tandis que Laforgue reste à Paris poursuivre ses études au lycée Fontanes (maintenant appelé lycée Condorcet). Le père et ses onze enfants déménagent rive gauche au 5 rue Berthollet, Émile étant inscrit à l’École des beaux-arts. Laforgue trouve en sa sœur Marie, troisième de la fratrie, une vraie confidente.
Il échoue au baccalauréat de philosophie (il aurait essayé à trois reprises), en partie à cause de sa timidité, incapable d'assurer l'oral. Il se tourne alors vers la littérature et la lecture des poètes et des philosophes en passant cinq heures par jour dans les bibliothèques et ne se nourrissant que très peu.
Un départ difficile
Après ces études avortées, il mène à Paris une vie relativement difficile.
Il collabore en 1879 à sept livraisons de La Guêpe, revue éditée à Toulouse par les anciens lycéens de Tarbes, et y produit critiques et dessins légendés au ton moins comique qu'ironique, ainsi qu'au premier numéro de l'éphémère revue L'Enfer.
Fin 1880, il publie ses trois premiers textes dans la revue la Vie moderne dirigée par Émile Bergerat qui lui en donne vingt francs.
Il avait rencontré Gustave Kahn au tout début de l'année 1880 dans une réunion littéraire régulière de la rive gauche, le « Club des Hydropathes » où se croisaient Alphonse Allais, Charles Cros, Émile Goudeau, et nombre de poètes que l’on appellera plus tard les symbolistes. Kahn rapporte que Jules rencontra Stéphane Mallarmé et qu'ils s'apprécièrent.
Il vivait à cette époque dans une chambre meublée située rue Monsieur-le-Prince.
Gustave Kahn, encore : {{citation}}
L’Allemagne
Juste au moment de la mort de son père à l'enterrement duquel il ne put assister, il part le 18 novembre 1881 pour Berlin, où il vient d'être nommé lecteur de l'impératrice allemande Augusta de Saxe-Weimar-Eisenach, âgée de 71 ans et grand-mère du futur kaiser Guillaume II. C'est par le biais d'Amédée Pigeon, précédent lecteur d'Augusta, que Jules trouva ce poste : Amédée en parla à Paul Bourget et le lien fut fait.
Avant de partir, il abandonne sa part d'héritage au profit de sa fratrie. Il s'arrête dans un premier temps à Coblence au château de Stolzenfels et, de là, on le conduit à Berlin, au Prinzessinen-Palais, situé sur Unter den Linden. On lui donne un appartement situé au rez-de-chaussée et comprenant trois pièces.
Son travail consiste à lire à l’impératrice, deux heures par jour, les meilleures pages des romans français et des articles de journaux comme ceux de la Revue des deux Mondes. L'usage de parler le français à la cour remonte au XVIII{{e}} siècle.
Il s’agit d’un emploi rémunérateur, payé tous les trois mois, pour un total de 9000 francs annuel, qui lui laisse du temps libre et qui lui permet de voyager à travers l’Europe. Augusta partait en villégiature de mai à novembre : Jules devait l'accompagner. Mais surtout, une fois cette « corvée impériale » effectuée, il se consacre à la lecture et achète de nombreux livres. Le soir, il va au cirque ou dans des cafés. Laforgue ne put effectuer un seul voyage à Paris durant cette période, bien qu'il disposât d'une période de quinze jours de congés par an.
Ses premiers contacts avec des Français vivants à Berlin sont rares : il croise le futur correspondant musical du Temps, Th. Lindenlaub, grâce auquel il va se lier d'amitié avec le critique Teodor de Wyzewa et le jeune pianiste belge Théo Ysaÿe. Malgré cela, il éprouve le poids de l'exil, de l'ennui et de la mélancolie, comme il l'exprime dans sa correspondance avec son ami le mathématicien Charles Henry (1859-1926).
Il rédige au cours de ces cinq années une série de textes sur la ville de Berlin et la cour impériale, dont quelques-uns seront envoyés à la Gazette des beaux-arts. En mars 1885, il publie quelques-unes de ses « complaintes » dans la revue Lutèce qui seront publiées ensuite par Léon Vanier aux frais de Laforgue et dédiées à Paul Bourget. Vanier, éditeur de Paul Verlaine, publiera également L’Imitation de Notre-Dame la Lune, toujours à compte d'auteur.
En 1886, il quitte son poste de lecteur. En janvier de cette année-là, à Berlin, il rencontre une jeune Anglaise, Leah Lee, qui lui donne des cours d'anglais. Elle devient sa maîtresse puis il l'épouse le 31 décembre, à Londres. Il rentre alors à Paris. Son état de santé se dégrade rapidement : atteint de phtisie, il meurt en août 1887 à son domicile du 8, rue de Commaille ; il venait d'avoir 27 ans ; sa femme, atteinte du même mal, succombera l’année suivante.
Il avait collaboré à des revues telles que la Revue indépendante, le Décadent, la Vogue, le Symboliste, la Vie moderne, l'Illustration. Il était proche d'écrivains et de critiques comme Édouard Dujardin et Félix Fénéon.
Il jouait avec les mots et en créait fréquemment. Il dessinait. Il était un passionné de musique. Il refusait toute règle de forme pour l’écriture de ses vers. Les écrits de Jules Laforgue sont empreints d’un fort mal de vivre – son spleen –, par le sentiment de malheur et la recherche vaine de l’évasion, et témoignent au fond d'une grande lucidité.
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- J’aurai passé ma vie le long des quais
- À faillir m’embarquer
- Dans de biens funestes histoires
- Tout cela pour l’amour
- De mon cœur fou de la gloire d’amour
- — Poème sans titre extrait du {{10e}} texte du recueil posthume Derniers vers.