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Meyerbeer, Giacomo (1791-1864)

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Biographie

1791-1815 : Les débuts en Allemagne et à Vienne

Jakob Liebmann Meyer Beer naît le {{date}} dans une riche famille berlinoise de confession juive. Son père, Juda Herz Beer (1769-1825), s’est installé dans la capitale du royaume de Prusse autour de 1785 et a épousé Amalia Liebmann Meyer Wulff (1767-1854) en 1788. Elle est la fille aînée du « Crésus de Berlin », Liebmann Meyer Wulff, qui a fait fortune en assurant l’approvisionnement des troupes prussiennes et en dirigeant la loterie du royaume. Le père du futur compositeur fait fructifier la dot de son épouse en dirigeant une raffinerie de sucre. En 1815, il est considéré comme étant la première fortune de Berlin. Très cultivé, il œuvre également pour améliorer le sort des Juifs prussiens en étant actif au Conseil des Anciens de la communauté juive berlinoise et en soutenant le mouvement d’émancipation des Juifs. À cette époque, les Juifs ne bénéficient toujours pas de la citoyenneté prussienne ; l’entrée dans la fonction publique leur est interdite et ils sont très peu impliqués dans les carrières artistiques en général et musicales en particulier.

Le futur compositeur est l’aîné de quatre frères, ses trois cadets étant Heinrich (né en 1794), Wilhelm (né le 4 janvier 1797) et Michael (né le 19 août 1800). Ces deux derniers deviendront également célèbres : Wilhelm sera un banquier et un conseiller en affaires, mais il consacrera surtout une grande partie de son temps libre à effectuer des études astronomiques depuis son observatoire installé sur le toit de la maison familiale dans le quartier Tiergarten de Berlin : il sera le premier à publier en 1824, en collaboration avec Johann Heinrich von Mädler, une cartographie de la lune. Michael, qui mourra prématurément à l’âge de 32 ans, connaîtra un certain succès avec ses pièces de théâtre Clytemnestre (1819), Le Paria (1823) et surtout Struensee (1829), considéré comme son chef-d’œuvre.

Amalia s’attache à ce que sa maison soit régie selon les principes établis dans la haute société de l’époque, en attirant l’élite intellectuelle, des membres de la Cour et des artistes. C’est ainsi que, dès l’enfance, le petit Jakob est en contact avec les plus grands musiciens de son temps. Conformément aux usages aristocratiques, il est instruit par des professeurs particuliers. En matière de musique, il reçoit les enseignements de Franz Lauska (1764-1825), le professeur de piano de la Cour qui commence à lui donner des leçons dès 1798, mais aussi de Muzio Clementi (1752-1832) ou de l’abbé Vogler lorsque ces derniers séjournent chez les Beer. Il joue pour la première fois en public le 14 octobre 1801 le concerto pour piano en ré mineur de Mozart, ainsi que des variations de son maître Lauska ; il acquiert très vite une réputation de pianiste brillant. De 1803 à 1807, il étudie la composition de façon irrégulière avec Carl Friedrich Zelter (professeur de Felix Mendelssohn) et achève le 12 décembre 1803 sa première sonate pour piano. Déjà attiré par l’opéra, il devient ensuite l’élève de Bernhard Anselm Weber (1766-1821) qui est alors le chef d’orchestre de l’Opéra royal de Berlin. C’est à cette époque qu’il compose sa première œuvre scénique, le ballet-pantomime Der Fischer und das Milchmädchen, qui est créé au Théâtre royal de Berlin le {{date}}.

Le 15 avril 1810, il se rend à Darmstadt pour recevoir l’enseignement (jusqu’en 1811) de l’abbé Vogler chez lequel il a pour compagnon d’étude Carl Maria von Weber, avec lequel il nouera une profonde et durable amitié. C’est là que le jeune Jakob fait son véritable apprentissage artistique, approfondissant ses connaissances en matière de contrepoint et de composition dramatique. Il continue de cultiver ses talents de pianiste, son condisciple Carl Maria von Weber n’hésitant pas à dire de lui en 1815 que ses talents l’ont « mis au rang de l’un des premiers, sinon même du premier pianiste de [son] temps ». Vogler encourage également son élève à devenir organiste, espérant même pour lui une carrière de virtuose sur cet instrument. Il l’initie enfin aux aspects extra-musicaux de la carrière de compositeur : il fait ainsi étudier à ses élèves les courriers qu’il échange avec son propre éditeur afin de leur recommander les pratiques les plus avantageuses en la matière. Enfin, il incite ses disciples (au nombre desquels, outre Meyerbeer, on compte Carl Maria von Weber, Gottfried Weber, Johann Baptist Gänsbacher et Alexander von Dusch) à fonder une « Harmonischer Verein » (société harmonique) où chaque membre a pour but de faire connaître et de propager la musique composée par ses condisciples.

À Darmstadt, il compose en 1811 un oratorio Gott und die Natur (créé à Berlin le {{date}}), suivi d’un opéra Jephthas Gelübde (Munich, {{date}}). À la suite du décès de son grand-père maternel survenu le 16 août 1812, il accole à son nom « Beer » son troisième prénom « Meyer » qui lui avait été donné en l’honneur de son aïeul, et se fait désormais appeler Meyer-Beer, puis Meyerbeer (en un seul mot). C’est également à cette époque que le jeune compositeur fait le serment solennel à sa mère de ne jamais se convertir et de rester fidèle à la religion de ses parents.

Son singspiel, Wirt und Gast, oder Aus Scherz Ernst (créé à Stuttgart le {{date}}) essuie un échec. Il le révise pour être représenté à Vienne ({{date}}) sous le titre Die beiden Kalifen, mais l’ouvrage ne réussit pas mieux en raison d’un nombre de répétitions insuffisant. Becker attribue à cette expérience malheureuse le souci maniaque qu’aura par la suite le compositeur de superviser de façon très étroite toutes les répétitions de ses futures créations. Meyerbeer tente de se faire remarquer à Vienne comme pianiste dans les cercles privés. Le soir de son arrivée cependant, il assiste à un concert de Hummel ; il est tellement subjugué par l’exceptionnel talent de pianiste de ce dernier qu’il décide de se retirer pendant dix mois afin de revoir entièrement sa technique de jeu. Il compose également à cette époque de très nombreuses pièces pour pianoforte, qui ne seront pas publiées. Estimant qu’il est désormais prêt à affronter le public, il donne son premier concert à Vienne, qui fait sensation. Fétis rapporte le sentiment de Moscheles, selon lequel peu de pianistes auraient pu rivaliser avec Meyerbeer si ce dernier avait décidé d’embrasser une carrière de virtuose. Il participe également, en tant que percussionniste, à la création, le {{date}}, de La Bataille de Vittoria de Beethoven sous la direction du compositeur ; selon des témoignages indirects, ce dernier n’aurait d’ailleurs pas été satisfait de la prestation par trop hésitante de Meyerbeer. Il rencontre également le compositeur Louis Spohr qui travaille sur son Faust et qui lui demande de jouer au piano les morceaux au fur et à mesure de leur composition, en raison de l’excellence de sa technique pianistique.

En décembre 1814, il se rend pour la première fois à Paris où il écume, émerveillé, théâtres, salles de concerts, musées et bibliothèques. Après avoir séjourné près d’un an dans la capitale française, il visite Londres avec le même enthousiasme et assiste aux concerts des plus fameux pianistes de l’époque : Ferdinand Ries, August Alexander Klengel, Johann Baptist Cramer ou Friedrich Kalkbrenner.

1816-1824 : Les premiers succès en Italie

En 1816, il se rend en Italie (sans doute sur les conseils d'Antonio Salieri) où il assiste à une représentation du Tancredi de Gioachino Rossini. Ce spectacle est une véritable révélation, comme en témoigne une lettre écrite en 1856 (cité par Henri de Curzon) :

{{début citation}}L’Italie entière se plongeait alors avec délices en une sorte de douce extase ; il semblait que toute cette race eût enfin trouvé son paradis longtemps espéré, et qu’il ne lui manquât plus, pour atteindre au bonheur, que la musique de Rossini. Pour moi, j’étais attiré comme les autres, tout à fait indépendamment de ma volonté, dans ces fins rets sonores ; j’étais comme ensorcelé dans un parc magique dont je ne voulais pas, dont je ne pouvais pas m’évader. Toutes mes facultés, toutes mes pensées devenaient italiennes : quand j’eus vécu une année là-bas, il me semblait être italien de naissance. Je m’étais si complètement acclimaté à cette magnifique splendeur de la nature, à cet art italien, à cette vie gaie et facile, que je ne pouvais, par une suite naturelle, penser qu’en italien, sentir et éprouver qu’en italien. Qu’une transformation aussi totale de ma vie intérieure dût avoir la plus essentielle influence sur mon genre de compositions, on le comprend assez. Je ne voulais pas, comme on se l’imagine, imiter Rossini ni écrire à l’italienne, mais il me fallait composer dans le style que j’ai adopté, parce que mon état d’âme m’y contraignait. {{fin citation}}

Il parcourt toute l’Italie et recueille des chants populaires en Sicile. Il rencontre également le librettiste Gaetano Rossi qui écrit le texte de sa cantate pastorale, Gli amori di Teolinda, et avec lequel il collaborera souvent par la suite.

Les opéras qu'il compose à cette époque lui assurent une notoriété croissante : Romilda e Costanza (Padoue, {{date}}) ; Semiramide riconosciuta (Turin, {{date}}) ; Emma di Resburgo (Venise, {{date}}) qui sera par la suite traduit en allemand et représenté à Dresde, Berlin, Francfort, Munich, Stuttgart, Vienne, Barcelone et Varsovie ; Margherita d'Anjou (Milan, {{date}}) qui gagne bientôt, soit dans sa version originale, soit dans des traductions en allemand ou en français, Munich, Barcelone, Paris, Bruxelles, Londres, Graz, Berlin, Budapest, Prague, Ljubljana, Amsterdam, Madrid, Lisbonne et La Haye ; L'esule di Granata (Milan, {{date}}) et enfin Il crociato in Egitto ({{date}}) qui est créé à Venise. Ce dernier ouvrage recueille un immense succès, Meyerbeer étant placé par le public italien à un niveau d’égalité avec Rossini. Il Crociato est représenté de façon triomphale au King’s Theater de Londres ({{date}}) et au Théâtre italien de Paris ({{date}}). Le succès parisien est tel que le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III, arrivé le lendemain de la première, décide d’assister à la deuxième représentation afin d’apprécier par lui-même l’œuvre qui fait courir toute la capitale française.

C’est en l’honneur du pays où il a remporté ses premiers succès que le compositeur italianise son prénom, se présentant désormais sous le nom de Giacomo Meyerbeer.

1825-1841 : Les triomphes parisiens

Si Meyerbeer décide de ne pas se rendre à Londres pour la première de son Crociato, il arrive dès le 23 février 1825 à Paris pour superviser les répétitions de ce même ouvrage. Il profite de l'occasion pour s’installer dans la capitale française où il préfère suivre Rossini plutôt que de rester en Italie sans celui qu'il considère comme son maître (alors que Rossini est de six mois son cadet).

En fait, Meyerbeer songeait depuis quelques années déjà à poursuivre sa carrière à Paris comme en témoigne l’extrait d’une lettre datée du 5 juillet 1823 et adressée à la basse Nicolas-Prosper Levasseur qui avait participé à la création italienne de Margherita d'Anjou et qui sera le seul interprète à chanter aux premières de Robert le Diable, Les Huguenots et Le Prophète (cité par Henri de Curzon) :

{{début citation}}Vous me demandez s’il serait sans attrait pour moi de travailler pour la scène française. Je vous assure que je serais bien plus glorieux de pouvoir avoir l’honneur d’écrire pour l’Opéra français, que pour tous les théâtres italiens (sur les principaux desquels, d’ailleurs, j’ai déjà donné de mes ouvrages).

Où trouver ailleurs qu’à Paris les moyens immenses qu’offre l’Opéra français à un artiste qui désire écrire de la musique véritablement dramatique? Ici, nous manquons absolument de bons poèmes d’opéra, et le public ne goûte qu’un seul genre de musique. À Paris, il y a d’excellents poèmes, et je sais que votre public accueille indistinctement tous les genres de musique, s’ils sont traités avec génie. Il y a donc un champ bien plus vaste pour le compositeur qu’en Italie. {{fin citation}}

Cet intérêt pour la scène lyrique parisienne semble en fait s’être manifesté très tôt. Jackson cite une lettre adressée par Meyerbeer à son père en novembre 1814 et dans laquelle il indique que « depuis des années, vous savez que je considère Paris comme l’arène idéale pour mon apprentissage dans la musique dramatique et que j’ai toujours eu une grande passion pour l’opéra français. »

Son désir de résider à Paris est tel qu’il n’hésite pas à abandonner le projet d’un nouvel opéra italien Ines di Castro, sur un livret de son ami Gaetano Rossi. Il préfère adapter pour la scène française son opéra Margherita d'Anjou, qui est représenté le {{date}}, et travaille quelque temps sur une ébauche de pasticcio de ses opéras italiens intitulée La Nymphe du Danube.

Après la mort de son père survenue le 27 octobre 1825, il se doit, selon la tradition juive, de créer un foyer dès que possible en tant que fils aîné de la famille. Il épouse à Berlin le 25 mai 1826 sa cousine Minna Mosson (1804-1886), qui est la fille de l’une des sœurs cadettes de sa mère. Les deux premiers bébés du couple, Eugénie et Alfred, meurent en bas âge, contrairement à leur troisième enfant, Blanca, qui naît le 15 juillet 1830 à Baden-Baden, où Minna a pris l’habitude de passer la période estivale.

Sous la protection de Luigi Cherubini, il entame le 18 février 1827 une fructueuse collaboration avec le librettiste Eugène Scribe. Leur première œuvre commune, Robert le Diable, est créée à l'Opéra le {{date}} où il est l'{{Citation}}. Meyerbeer devient membre étranger de l’Académie des beaux-arts de Paris et est élevé à la dignité de Chevalier de la Légion d’honneur le 19 janvier 1832. Après La Muette de Portici de Daniel-François-Esprit Auber (1828) et Guillaume Tell, le dernier opéra de Rossini (1829), Robert pose les bases de ce qui deviendra le « Grand opéra », nouveau genre (dont les principales caractéristiques sont celles d’être un drame sur fond historique, aux situations tragiques, avec des décors et des ballets fastueux) dans lequel nombre de compositeurs se sentent désormais obligés de faire leurs preuves. La consécration passe en effet désormais par Paris où Donizetti, Verdi et même Wagner chercheront à briller à l'égal de Meyerbeer.

Robert est représenté sur les plus grandes scènes d’Europe : la création londonienne officielle est prévue le 11 juin 1832 au King’s Theatre, mais la réputation de l’ouvrage et l’impatience du public sont telles que trois autres théâtres vont programmer avant cette date des versions non autorisées : ainsi, The Devil’s Son est créé à l’Adelphi Theatre le 23 janvier 1832, The Daemon au Drury Lane Theatre le 20 février et The Fiend Father of Robert of Normandie à Covent Garden le 21 février.

Meyerbeer retourne à Berlin le 31 mai 1832 pour superviser la première qui a lieu le 20 juin : l’accueil y est beaucoup plus réservé qu’à Londres, le critique musical Ludwig Rellstab écrivant même qu’à sa connaissance, Meyerbeer « n’a jamais composé de musique qui soit bonne, sans même parler de musique qui soit belle ». Il rejoint au début du mois de juillet son épouse à Baden-Baden, puis part se reposer à Bad Schwalbach, une station thermale allemande.

À cette époque, il entreprend une collaboration avec Alexandre Dumas sur deux projets : un grand-opéra pour Paris intitulé Les Brigands et un opéra pour Berlin qui a pour titre La Branche d’if ; malheureusement, aucun de ces deux projets n’aboutira, et dès le {{1er}} octobre 1832, Meyerbeer a fixé son choix de prochain opéra sur Les Huguenots dont le livret est à nouveau signé par Eugène Scribe.

Meyerbeer quitte Paris le 31 octobre 1832 pour passer l’essentiel de l’hiver avec son épouse à Francfort. Puis la famille se rend à Baden-Baden début mars. C’est là qu’il apprend la mort de son plus jeune frère Michael Beer survenue à Munich le 22 mars 1833.

La composition des Huguenots est totalement interrompue lorsque la santé de Minna se dégrade brutalement. Les médecins recommandent au couple de s’établir quelque temps dans des contrées plus chaudes et Meyerbeer décide de gagner l’Italie où il arrive le 30 octobre 1833. Louis Véron, le directeur de l’Opéra de Paris, furieux de constater que l’opéra ne sera pas prêt à la date prévue, menace Meyerbeer de lui faire payer la pénalité de {{unité}} pour cause de rupture de contrat s’il ne tient pas ses engagements. Le compositeur refuse de céder et fait envoyer les {{unité}}. Malgré son départ, Meyerbeer reprend le travail de composition et adapte certaines scènes en s’inspirant de Norma de Bellini qui lui a fait une forte impression. Il renoue également avec Gaetano Rossi qui lui avait fourni les livrets de trois de ses opéras italiens. Ils développent ensemble le personnage de Marcel, le vieux serviteur protestant, qui prend une ampleur qu’il n’avait pas dans le livret initial.

Après le départ de Véron, les contacts avec l’Opéra de Paris sont renoués et les répétitions des Huguenots commencent en juin 1835. Sans se lasser, Meyerbeer fait répéter les chanteurs individuellement, mais aussi les chœurs et les morceaux d’ensemble. En outre, de nombreuses modifications sont effectuées dans la partition pour répondre aux exigences de la censure, mais aussi à des demandes de Scribe qui souhaite corriger certaines scènes afin de les rendre plus efficaces ou du ténor Adolphe Nourrit qui réclame un duo d’amour à la fin du quatrième acte entre Valentine et Raoul, le personnage qu’il interprète : ce rajout, non prévu dans le livret initial, va devenir le morceau le plus célèbre de tout l’opéra. La création a lieu le {{date}} et remporte un triomphe encore plus absolu que celui de Robert. Le 17 avril 1836, la recette atteint, pour la première fois de l’histoire de l’Opéra de Paris, le montant record de {{unité}}. Entre 1836 et 1900, Les Huguenots est la première œuvre à atteindre le nombre de {{nombre}} à l’Opéra.

En 1836, Meyerbeer et Scribe commencent à travailler sur un nouvel opéra Le Prophète. Ils élaborent aussi à partir d’août 1837 les premières esquisses de L'Africaine, opéra destiné à la célèbre Cornélie Falcon. Néanmoins, cette dernière a perdu sa voix lors d’une représentation de Stradella de Louis Niedermeyer le 6 mars 1837 et Meyerbeer doit abandonner (provisoirement) la partition. Il reprend alors Le Prophète tout en parcourant l’Allemagne (Gotha, Francfort, Karlsruhe, Cassel, Berlin, Schlangenbad, Schwalbach, Baden-Baden, Heidelberg, Dresde, Alexisbad, Leipzig) afin de veiller à la qualité des représentations de Robert le Diable et des Huguenots.

Il retourne finalement à Berlin afin de se consacrer davantage à sa famille après la naissance de ses deux dernières filles Cäcilie (le 10 mars 1837) et Cornelie (le 4 juin 1842) alors que la mauvaise santé de son épouse Minna ne cesse de le préoccuper.

Malgré les triomphes qu’il y a remportés, plusieurs événements vont en effet inciter Meyerbeer à quitter Paris. En premier lieu, Minna n’a jamais pu s’habituer à la vie parisienne et elle obtient de son époux l’autorisation de s’installer définitivement à Berlin avec ses filles. En outre, le changement de direction à la tête de l’Opéra de Paris avec l’arrivée de Léon Pillet en 1840 va distendre les liens tissés depuis la création de Robert. Même si le contact n’a jamais été vraiment rompu avec Pillet, le compositeur a beaucoup de mal à supporter les caprices de la cantatrice Rosine Stoltz qui profite de sa liaison avec le directeur pour imposer ses vues en matière de distribution et pour faire régner un climat délétère. Bien que Le Prophète soit terminé dès le mois de mars 1841, Meyerbeer n’autorisera jamais sa production à l’Opéra avant la démission de Pillet en 1847. À l’exception des six derniers mois des années 1842 et 1843 qu’il passe à Paris, Meyerbeer réside désormais principalement à Berlin.

1842-1848 : Fonctions officielles en Allemagne

La mort en 1840 du roi de Prusse Frédéric-Guillaume III et l’accession au trône de son fils aîné Frédéric-Guillaume IV va se révéler bénéfique pour Meyerbeer. Suivant les conseils du naturaliste Alexander von Humboldt, le nouveau roi va en effet adopter des mesures beaucoup plus libérales et encourager l’émancipation des Juifs de Prusse. Il commande la première des Huguenots à Berlin le 20 mai 1842 (l’œuvre était jusque là interdite par la censure pour des raisons religieuses) et honore le compositeur de la distinction nouvellement créée Pour le mérite des arts et des sciences le 31 mai 1842.

Au départ de Spontini, il nomme Meyerbeer Generalmusikdirektor (directeur général de la musique) de l’Opéra royal de Prusse et superviseur de la musique de la Cour royale le 11 juin 1842. La direction de la musique sacrée est quant à elle confiée à un autre compositeur d’origine juive, mais converti au protestantisme, Felix Mendelssohn. La nomination de Meyerbeer est particulièrement importante puisque c’est la première fois qu’un Juif occupe une fonction officielle en Prusse : il s’agit pour la famille Beer, et pour l’ensemble des Juifs prussiens, d’une éminente reconnaissance sur le plan social et d’un signe clair d’ouverture.

Meyerbeer compose un certain nombre d’œuvres pour des circonstances officielles, notamment l’opéra Ein Feldlager in Schlesien (« Le camp de Silésie ») créé le {{date}} pour la réouverture de l’Opéra après sa destruction dans un incendie et qui ne sera couronné de succès que lorsque Jenny Lind sera appelée par Meyerbeer pour chanter le premier rôle. Parmi les autres œuvres commandées par le roi, il faut citer la musique de scène pour la pièce de théâtre Struensee écrite par le frère défunt du compositeur Michael Beer (19 septembre 1846).

L’essentiel des activités officielles de Meyerbeer consiste à diriger l’Opéra royal pour lequel il monte notamment Armide et Iphigénie en Tauride de Gluck, Don Giovanni et La Flûte enchantée de Mozart, Fidelio de Beethoven, Le Roi d'Yvetot d’Adam, Faust de Spohr, Der Freischütz et Euryanthe de Carl Maria von Weber, La sonnambula de Bellini, mais aussi Le Vaisseau fantôme (en 1844) et Rienzi (à l’occasion de l’anniversaire du roi en 1847) de Wagner.

En tant que directeur, il cherche à améliorer la rémunération des membres de l’orchestre et du chœur en soutenant leurs demandes d’augmentations salariales, en redistribuant son salaire et ses droits d’auteur lorsque ses opéras sont représentés. Il soutient la création en établissant que les compositeurs reçoivent 10% des recettes sur leurs œuvres et en faisant en sorte qu’il y ait au moins trois opéras composés par des musiciens allemands vivants à chaque saison. Il est également très pris par l’organisation des concerts de la Cour pour laquelle il compose ponctuellement quelques œuvres de circonstance (comme Das Hoffest von Ferrara pour un bal masqué le 28 février 1843).

La tâche va cependant s’avérer de plus en plus lourde et pénible pour Meyerbeer. Il est en effet en butte aux intrigues incessantes de l’intendant de l’Opéra, Karl Theodor von Küstner, qui remet en cause ses qualités de chef d’orchestre et souligne son « éloignement du goût allemand ». Lassé, le compositeur obtient des autorisations d’absence de plus en plus longues, puis demande de ne plus s’occuper que de l'organisation des concerts de la Cour (fonction qu’il assumera jusqu’à sa mort). Il quitte officiellement ses fonctions de Generalmusikdirektor le 26 novembre 1846 et part pour Vienne pour superviser les représentations d’une version modifiée du Feldlager dont la première, qui a lieu le {{date}} sous le titre de Vielka, est un nouveau succès pour Meyerbeer et son interprète principale, le « rossignol suédois » Jenny Lind.

Il retourne à Berlin afin d’organiser un long séjour réparateur à Franzensbad. C’est dans cette ville thermale de Bohème qu’il apprend le 6 juillet 1847 le changement de direction à l’Opéra de Paris. Léon Pillet est remplacé par Nestor Roqueplan et Charles Duponchel qui reprennent immédiatement contact avec Meyerbeer dans le but de monter Le Prophète dès que possible. Assuré de pouvoir choisir les interprètes qu’il souhaite, Meyerbeer rentre à Paris et engage Pauline Viardot et, après quelques hésitations, Gustave-Hippolyte Roger pour tenir les rôles principaux. Il révise entièrement sa partition, ainsi que le livret, afin de les adapter au mieux aux capacités de ses chanteurs tandis qu’éclate la Révolution de 1848 à laquelle il assiste en témoin fasciné.

1849-1864 : Les dernières années

Les répétitions du Prophète s’étalent d’octobre 1848 à avril 1849. Au cours d’innombrables séances, Meyerbeer prépare d’abord les chanteurs principaux, puis le chœur ; il obtient également 33 répétitions avec l’orchestre. Ces efforts sont couronnés par un nouveau triomphe lors de la création le {{date}} qui marque selon R. I. Letellier le point culminant de la carrière artistique du compositeur. Jamais plus en effet il ne connaîtra un succès d’une telle ampleur. Les dix premières représentations dégagent des recettes record, comprises entre 9000 et {{unité}} chacune. Meyerbeer reçoit un total de {{unité}} pour la publication de sa partition, soit un montant encore jamais atteint jusqu’alors.

Peu après la création, Meyerbeer retourne à Berlin. Mais, il reprend vite son bâton de pèlerin afin de pouvoir superviser les premières de son opéra, d’abord à Dresde le 30 janvier 1850, puis à Vienne le 28 février et enfin à Berlin le 28 avril de la même année. Entre-temps (le 27 mars 1850), il a la douleur de perdre son frère Wilhelm auquel il était très attaché. Il retourne ensuite à Paris pour assister à une reprise à l’Opéra avec Marietta Alboni qui interprète pour la première fois le rôle de Fidès, la mère du Prophète. À la fin de 1850, Meyerbeer note dans son journal que son opéra a déjà été représenté dans une quarantaine de théâtres dans le monde entier.

Les décorations pleuvent : après avoir été le premier Allemand à être honoré du titre de Commandeur de la Légion d’honneur (le 4 mai 1849), Meyerbeer reçoit de l’Université d’Iéna le titre de docteur honoris causa (le 14 juillet 1850). Il est également distingué par les royaumes de Saxe (la Croix de Chevalier de l’Ordre royal saxon du Mérite lui est remise le 28 janvier 1850), d’Autriche (il reçoit le grade de Chevalier de l’Ordre autrichien de François-Joseph le {{1er}} novembre 1850) et de Bavière (1853). Le roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV commande au peintre Carl Joseph Begas un portrait du compositeur pour sa galerie des Prussiens contemporains célèbres (1851) et la reine Victoria lui envoie un cadeau précieux en gage de son estime et de son admiration (1852).

À partir de 1851, Meyerbeer va résider la plupart du temps à Berlin avec sa famille, en participant à la vie artistique particulièrement riche de la cité. Le matin, il travaille ; il reçoit et tient sa correspondance l’après-midi et sort presque chaque soir pour aller au concert ou au théâtre. Sa santé commence cependant à se détériorer et il passe désormais chaque été des années 1850 à 1856 à Spa, ville thermale qu’il affectionne tout particulièrement, comme en témoignent les nombreuses références dans son journal (seule l’année 1853 fait exception, Meyerbeer ayant préféré se rendre à Dieppe). La ville de Spa lui érigera un monument, honneur que ne lui réservera jamais Berlin, sa ville natale.

En tant que compositeur officiel de la Cour, il ne peut se dérober à certaines obligations telles que la participation aux séances de l’Académie des Arts de Berlin (à laquelle il a été nommé le 14 août 1851), à la rédaction de rapports sur la vie musicale et à la supervision des concerts de la Cour : c’est en effet lui qui choisit le programme et les artistes de ces concerts.

Meyerbeer reçoit également chaque année des commandes : en 1850, il compose sa deuxième Marche aux flambeaux pour le mariage de la princesse Charlotte avec le prince héritier de Saxe-Meiningen. En 1851, il écrit le chœur Fredericus Magnus qui doit être inséré dans une représentation spéciale de son Feldlager in Schlesien ainsi qu’une Ode à Rauch à l’occasion de l’inauguration du monument sculpté par Christian Daniel Rauch et dédié à Frédéric le Grand. En 1852, la cantate Maria und ihr Genius célèbre les noces d’argent du prince Charles de Prusse et de la princesse Marie. En 1853, le mariage de la princesse Anne de Prusse avec le prince Frédéric de Hesse fournit l’occasion de composer la troisième Marche aux flambeaux. Mais l’œuvre de circonstance la plus significative est sans doute le Psaume XCI écrit à la demande du roi de Prusse pour le chœur de la cathédrale et qui est resté l’œuvre religieuse la plus célèbre composée par Meyerbeer.

De 1849 à 1853, Meyerbeer se consacre également à la composition d’un opéra-comique pour Paris intitulé L'Étoile du Nord, réutilisant une partie de la musique de son Feldlager. Il fait appel à Scribe pour composer un livret qui situe l’action en Russie du temps de Pierre le Grand. Les répétitions commencent en septembre 1853 dans un contexte de plus en plus tendu compte tenu de la montée des tensions liées à la guerre de Crimée. Certains voient en effet d’un assez mauvais œil la création d’une œuvre dont les héros sont russes alors que les relations avec la Russie se dégradent rapidement et il est nécessaire que l’Empereur intervienne personnellement afin d’autoriser la première de l’opéra le {{date}}.

Malgré le décès de sa mère bien-aimée le 27 juin 1854, Meyerbeer entreprend une grande tournée pendant les années 1854-1855 pour superviser les premières de L’Étoile du Nord à Stuttgart (le 27 septembre 1854), Dresde (le 9 février 1855), Londres (le 19 juillet 1855) et Vienne (le 29 décembre 1855). Témoin du succès de ce nouvel opus, la centième représentation à l’Opéra-Comique a lieu pour le premier anniversaire de la création, le 16 février 1855, et l’on compte 164 représentations de l’œuvre pendant les deux premières années.

Après L’Étoile du Nord, il décide de composer pour la soprano colorature Marie Cabel un nouvel opéra-comique intitulé Le Pardon de Ploërmel qui sera popularisé à l’étranger sous le nom de Dinorah. Cette fois, le livret est signé par Barbier et Carré. Cette œuvre mobilise ses capacités créatrices pendant cinq ans, de 1854 à 1859, et met en péril sa collaboration avec Scribe qui accepte difficilement de ne pas avoir été choisi. Afin d’apaiser son ami, Meyerbeer s’engage à reprendre le travail sur L’Africaine dont Scribe lui a fourni une nouvelle version définitive le 3 février 1853 : l’histoire qui narrait initialement les tribulations du conquistador espagnol Hernando de Soto en Afrique s’attache maintenant aux voyages du navigateur portugais Vasco de Gama jusqu’en Inde via le cap de Bonne Espérance.

Le compositeur passe les quatre premiers mois de 1856 en Italie pour ce qui est son séjour le plus long dans le pays depuis qu’il y a connu ses premiers succès. Résidant à Venise, il voyage dans tout le nord et le centre de l’Italie, assistant à des spectacles et des concerts, étudiant avec intérêt les performances des différents artistes, et plus particulièrement des chanteurs, et revoyant d’anciens amis rencontrés il y a plus de trente ans. Il s’intéresse tout particulièrement aux opéras de Verdi et se rend à des représentations de La Traviata à Venise (11 janvier), I masnadieri à Brescia (21 janvier), Rigoletto et Il Trovatore à Venise (1er février), La Traviata à Sienne (2 mars), I due Foscari à Florence (3 mars), Macbeth à Gênes (6 mars) et Nabucco à Gênes (9 mars) et Venise (24 mars).

Néanmoins, les décès de proches affectent de plus en plus un Meyerbeer malade et vieillissant : il est ainsi particulièrement touché par la mort, le 13 octobre 1856, de son attaché à Paris, le très fidèle Louis Gouin, puis par celle de son librettiste Eugène Scribe, le 20 février 1861. Il sombre peu à peu dans la dépression, encore aggravée par des attaques de plus en plus acerbes de certains critiques. Sa famille lui offre un certain réconfort : son épouse Minna accepte davantage que par le passé de l’accompagner au concert ou dans ses voyages et ses filles sont régulièrement à ses côtés lors des soirées passées au théâtre ou à l’opéra. En outre, la naissance de son petit-fils Fritz le comble de joie. Dans le même temps, le mariage de sa fille aînée Blanca avec un aristocrate prussien, Emanuel von Korff, n’est guère heureux et le compositeur doit régulièrement éponger les dettes de jeu considérables de son gendre. Par ailleurs, la santé fragile de sa deuxième fille Cäcilie demeure un sujet permanent de préoccupation.

Meyerbeer n’en continue pas moins le travail de composition sur Le Pardon de Ploërmel. La partition est terminée en 1858 et le compositeur part pour Paris pour assister aux répétitions qui commencent à la fin de la même année, la création ayant lieu le {{date}}. Malgré son âge et ses soucis de santé, il repart dans un cycle de voyages tout au long de l’année 1859 pour promouvoir son dernier opus, notamment à Londres (le 26 juillet 1859) et Stuttgart (le 21 décembre 1859).

Entre-temps, il a repris dès le 27 août 1857 le travail sur L’Africaine, conformément à sa promesse. Cela ne l’empêche pas de composer, entre juillet et décembre 1860, la musique de scène pour la pièce La Jeunesse de Goethe de son ami Henri Blaze de Bury : l'œuvre ne sera cependant jamais jouée et la partition semble avoir été perdue, comme beaucoup d’autres, au cours de la seconde guerre mondiale. Il compose également la Schiller-Marsch et une Festkantate pour célébrer le centenaire de la naissance de Schiller le 10 novembre 1859, la marche du couronnement pour le sacre du roi de Prusse Guillaume Ier en 1861 et la Fest-Ouvertüre im Marschstyl pour l'Exposition universelle de Londres de 1862 ; il se rend en Angleterre à cette occasion. Néanmoins, Meyerbeer consacre l’essentiel de ses dernières années à L’Africaine (qui porte désormais le titre de Vasco de Gama), mettant un point final à la partition le 29 novembre 1863.

Arrivé à Paris le 3 septembre 1863, les répétitions commencent sous sa supervision. Le 14 mars 1864, il tient à assister, malgré les conseils de son médecin, à la création de la Petite messe solennelle de Rossini dans la chapelle privée de l’hôtel particulier du comte Alexis Pillet-Will. Particulièrement ému durant l’audition, il est tellement enthousiaste qu’il décide de retourner à la seconde exécution qui a lieu le lendemain. Déjà très fatigué, les répétitions de L’Africaine l’exténuent littéralement et il est victime de nombreux étourdissements au cours du mois d’avril. Prévenues de la dégradation de son état de santé, ses deux filles cadettes, Cäcilie et Cornelie, arrivent à Paris pour veiller sur lui. Meyerbeer meurt soudainement le {{date}} à 5 heures 40 du matin. Rossini apprend le décès de son ami en se rendant à son domicile pour prendre de ses nouvelles ; très choqué, il s’évanouit et reste inconscient une dizaine de minutes. Aussitôt rentré chez lui, il compose le Chant funèbre « Pleure ! Pleure ! Muse sublime » en hommage à son « pauvre ami Meyerbeer ». Berlioz écrit à son fils un ou deux jours plus tard :

{{début citation}} Je suis plus triste qu’à l’ordinaire, la mort de Meyerbeer est venue m’achever. Une intelligence pareille ne disparaît pas du monde sans que les survivants remarquent l’obscurcissement qui se fait. Je viens de chez sa femme qui est ici avec ses deux filles et son gendre. Vendredi prochain, nous le conduirons au chemin de fer du nord qui le portera à Berlin. {{fin citation}}

Le monde musical est sous le choc et les répétitions de L’Africaine sont interrompues. Fétis est alors chargé de la préparation finale de la création le {{date}} à l'Opéra de Paris, en présence de l’Empereur et de l’Impératrice.