Barbey d'Aurevilly, Jules (1808-1889)
Biographie
Les racines normandes (1808-1816)
Maison familiale à Saint-Sauveur-le-Vicomte.
Jules-Amédée Barbey naît le {{date}}, le jour des Morts, à Saint-Sauveur-le-Vicomte, commune française située dans le département de la Manche et la région Basse-Normandie. Jules est l’aîné d'une fratrie de quatre enfants : Léon (né en 1809), Édouard (né en 1810), Ernest (né en 1811). Son père Théophile Barbey appartient à une famille dont la présence à Saint-Sauveur est attestée dès la fin du {{s}}. La famille Barbey accède à la noblesse en 1756, lorsque Vincent Barbey, avocat au bailliage de Valognes, acquiert une charge. Sa mère Ernestine Ango, issue d’une famille de bonne bourgeoisie installée à Caen au {{s}} est la fille du dernier bailli de Saint-Sauveur.
L’enfance de Barbey se déroule entre Saint-Sauveur, Valognes et le bord de mer à Carteret, dans une atmosphère conservatrice et ultra : la Révolution a durement touché les deux familles. Les Barbey vivent dans l’attente du retour à la monarchie, au milieu des souvenirs et des vieilles coutumes normandes. Jules grandit entre une mère peu aimante et un père austère. Il est attentif aux récits de coin du feu de sa vieille bonne Jeanne Roussel et de Louise Lucas-Lablaierie, sa grand-mère : les exploits plus ou moins mythiques de son oncle le chevalier de Montressel, qui se serait illustré lors des guerres de la chouannerie, impressionnent l’enfant.
Les années de formation (1816-1830)
Barbey d’Aurevilly jeune homme, par Martinez, d’après une miniature de Finck.
En 1816, l’admission de Jules à l'école militaire est refusée . Il poursuit ses études au collège de Valognes. En 1818, il habite chez son oncle le docteur Pontas-Duméril, un esprit libéral qui encourage l’émancipation intellectuelle et morale de son neveu — dans les Diaboliques, Barbey peindra son oncle sous les traits du docteur Torty. Cet ancien maire de Valognes attise son imagination lorsqu’il lui confie les détails intimes et croustillants des personnalités de la ville — le « dessous des cartes » de la haute société valognaise. Son cousin Edelestand du Méril, un poète et philosophe érudit, lui communique son admiration pour Walter Scott, Lord Byron, Robert Burns, ainsi que son goût pour l’histoire et la métaphysique.
En 1823, Barbey compose sa première œuvre, une élégie Aux héros des Thermopyles, dédiée à Casimir Delavigne et qu’il publie l’année d’après. Il compose dans la foulée un recueil de vers, qu’en 1825 il brûle de dépit faute d’avoir pu l’éditer. En 1827, il entre en classe de rhétorique au collège Stanislas à Paris. Il y rencontre Maurice de Guérin avec lequel il noue une amitié. Après son baccalauréat en 1829, il rentre à Saint-Sauveur la tête pleine d’idées politiques et religieuses nouvelles, contraires à celles de sa famille. Il souhaite ardemment, contre la volonté de son père, entamer une carrière militaire mais il cède et accepte de faire son droit à l'université de Caen. À la mort de son oncle Jean-François Barbey d’Aurevilly, il refuse temporairement, par conviction républicaine, de reprendre la particule.
L’élan romantique de la jeunesse (1830-1836)
Portrait par Haussoulier.
Vers 1830, Barbey rencontre Guillaume-Stanislas Trébutien, libraire à Caen et correspondant essentiel, et tombe amoureux de Louise du Méril, la femme de son cousin Alfred. Leur liaison est incertaine et c’est pour Barbey {{citation}}. Il est alors très marqué par l’influence des romantiques. En 1831, il écrit sa première nouvelle Le Cachet d’Onyx (inédite jusqu’en 1919, et dont il réutilisera le dénouement dans Un dîner d’athées), puis Léa en 1832, publiée dans l’éphémère Revue de Caen qu’il a fondée avec Trébutien et Edelestand du Méril.
En juillet 1833, Barbey soutient sa thèse, Des causes qui suspendent le cours de la prescription, puis s’installe à Paris où il retrouve Maurice de Guérin. Il fonde en 1834 une Revue critique de la philosophie, des sciences et de la littérature avec Trébutien et du Méril, où il publie pendant quelques mois des articles de critique littéraire. Il retourne à Caen en décembre dans l’espoir de revoir Louise et écrit là-bas en une nuit La Bague d’Annibal, poème en prose d’inspiration byronienne, qui ne trouve acquéreur qu’en 1842. En 1835, il compose un autre poème en prose, Amaïdée (publié en 1889), et un roman, Germaine ou La Pitié (qui deviendra Ce qui ne meurt pas en 1883). En 1836, il rédige les deux premiers Memoranda à l’intention de Guérin et rompt avec sa famille.
Le dandy : Sardanapale d’Aurevilly (1836-1845)
Peint en 1840 par Octave Tassaert.
De retour à Paris, Barbey vit sur l’héritage de son oncle et rêve d’une carrière politique en lisant nombre d’ouvrages historiques. Il collabore au Nouvelliste, un journal politique, rencontre Hugo et se lie avec Eugénie de Guérin — la très dévote sœur de Maurice. Ses ambitions mondaines l’amènent à composer un personnage de parfait dandy : il s’applique à « se froidir », se perfectionne dans l’art de la toilette, fréquente Roger de Beauvoir et le café Tortoni, cultive l’ironie, l’art de l’épigramme et le mystère. Il mène une vie désordonnée : il se jette dans les fêtes et les plaisirs, les soirées noyées dans l’alcool et enchaîne les passades. Il consomme du laudanum pour s’endormir et ses amis le surnomment « Roi des ribauds » ou encore « Sardanapale d’Aurevilly ». Du dandysme et de George Brummell. Ses causeries spirituelles lui valent de nombreuses conquêtes et lui ouvrent les portes des salons — il fréquente avidement celui de la marquise Armance du Vallon, qu’il entreprend de séduire. Cette bataille l’occupe quotidiennement pendant quelques mois, sans succès : elle se révèle plus dandy que lui. Elle lui inspire une longue nouvelle, L’amour impossible, « tragédie de boudoir » publiée en 1841 et qui passe inaperçue. La mort de Guérin en 1839 l’affecte profondément. Il fréquente le salon à tendance catholique et légitimiste de la baronne Amaury de Maistre, nièce par alliance de Joseph de Maistre, et en 1842 il collabore au Globe, un journal politique qui publie sa Bague d’Annibal remaniée. On le détache à Dieppe, faire campagne pour le baron Levavasseur, armateur à la fortune considérable, et qui possède des parts dans le journal. En 1843 il collabore au Moniteur de la Mode sous le pseudonyme de Maximilienne de Syrène et commence son étude sur George Brummell. Il entretient une liaison avec une mystérieuse Vellini, la future héroïne dUne vieille maîtresse. Du dandysme et de George Brummell paraît en 1845, édité à une trentaine d’exemplaires. L’œuvre est un succès de salon. Il commence un autre ouvrage sur le dandysme, le Traité de la princesse, manuel de séduction sous forme d’aphorismes, inspiré du Prince de Machiavel. Il le reprendra souvent pour l’enrichir mais l’ensemble restera inachevé.
Le retour à l’enfance et au catholicisme (1845-1851)
Après une tentative infructueuse pour collaborer à la Revue des deux Mondes, puis au Journal des Débats, Barbey passe les années 1845/46 à sa Vieille maîtresse. Il en compose la moitié avant de connaître une panne d’inspiration passagère. Fin 1846 il voyage dans le centre de la France en quête de fonds pour un projet de Société catholique. Il passe un mois dans le Forez, à Bourg-Argental, théâtre de la future Histoire sans nom, et réapparaît assagi à la fin de l’année : même s’il ne pratique pas encore, la lecture de Joseph de Maistre, sa rencontre avec Eugénie de Guérin, ses échanges avec son frère Léon Barbey d’Aurevilly, qui a embrassé la prêtrise, ont amorcé sa conversion. La lecture des Docteurs du jour devant la famille de Raymond Brucker, paru en 1844, et dans lequel l’auteur raconte son propre retour au catholicisme, a pu aussi jouer un rôle important. Le retour au catholicisme lui renouvelle l’inspiration : l’écrivain de 38 ans qui sent au même moment resurgir le passé lointain et les impressions de l’enfance reprend son roman dans de nouvelles dispositions. Il place la seconde partie non plus à Paris mais en Normandie, dans le Carteret de sa jeunesse.
La Revue du Monde catholique, journal ultramontain dont il est rédacteur en chef, l’occupe constamment en 1847. Il achève son roman à la fin de l’année, mais ne peut le publier : la Révolution de 1848 perturbe les délais de parution. Dans la confusion qui suit les journées de février, il tente de s’adapter à la nouvelle situation et va jusqu’à présider un club d’ouvriers durant quelques semaines. La revue cesse de paraître et Barbey, écœuré par le présent, se retire dans la solitude pour préparer des œuvres très différentes, mais toutes en rapport avec le passé. Il passe le reste de l’année et une partie de 1849 à lire et se documenter. Il révise Une vieille maîtresse, en même temps qu’il prépare un grand article sur Jacques II Stuart et Les prophètes du passé — essai de philosophie politique sur Joseph de Maistre, Louis de Bonald, François-René de Chateaubriand, Félicité de Lamennais et Antoine Blanc de Saint-Bonnet — ces hommes supérieurs {{citation}}, c’est-à-dire {{citation}}. Il conçoit dans sa retraite le plan d’une série de romans au titre d’ensemble Ouest — il veut être le {{citation}}. Ricochets de conversation : Le dessous de cartes d’une partie de whist, la première des Diaboliques, est publiée en 1850.
Le critique littéraire et le romancier (1851-1874)
Portrait de Nadar. En 1851 paraissent simultanément Une vieille maîtresse et Les Prophètes du passé — œuvres très contrastées qui étonnent la critique : on comprend mal que le même écrivain livre en même temps un pamphlet catholique et monarchiste et un roman de mœurs aux pages sensuelles et passionnées. La parution d’Une vieille maîtresse est l’occasion de soulever le problème du roman catholique, de la morale et de l’art. La même année Barbey rencontre chez Mme de Maistre Françoise Émilie Sommervogel, baronne de Bouglon, veuve du baron Rufin de Bouglon. Celle qu’il surnomme « l’Ange blanc » va dominer sa vie pour les dix années à venir. Elle trouve le talent de son fiancé trop féroce: il se modère pour Le Chevalier des Touches, roman historique sur un héros chouan, commencé l’année suivante. Il rentre au Pays, un journal bonapartiste, en 1852. Au départ il s’y occupe de critique littéraire en attendant de se voir confier une chronique politique. Il restera 10 ans à cet office. L'Ensorcelée, l’histoire du retour à son village d’un prêtre chouan défiguré par une tentative de suicide, est publiée cette même année en feuilleton puis en volume en 1854, mais passe inaperçue. Baudelaire toutefois considère ce roman comme un chef-d’œuvre. Les deux hommes se rencontrent à cette époque. Il publie aussi des Poésies. En 1855, Barbey se tourne vers la pratique religieuse. Il publie avec Trébutien les Reliquiae de son amie Eugénie de Guérin (décédée en 1848) et commence Un prêtre marié, roman frénétique mettant en scène un prêtre impie et sa fille. En 1856, à l’occasion d’un voyage en Normandie et de sa réconciliation avec ses parents, il écrit le troisième Memorandum. Il publie une critique audacieuse contre Les Contemplations de Victor Hugo, gloire intouchable.
Par ses articles, il contribue à faire découvrir Stendhal et à réhabiliter Balzac. Il défend également Les Fleurs du mal de Baudelaire et consacre à Madame Bovary de Flaubert une critique favorable mais sévère. Il déclare son goût pour les romantiques et n’hésite pas à tailler en pièces le réalisme, le naturalisme et les parnassiens : Champfleury, Jules et Edmond de Goncourt, Banville, Leconte de Lisle, et plus tard Émile Zola figurent parmi ses cibles. En 1858, il fonde Le Réveil, un journal littéraire, catholique et gouvernemental. Les articles qu’il publie lui valent des inimitiés : Sainte-Beuve, Pontmartin, Veuillot. Il fait encore parler de lui avec Une vieille maîtresse : l’œuvre est rééditée et crée le scandale.
En 1860, il s’installe au 25 rue Rousselet à Paris, qui sera jusqu’à sa mort son « tournebride de sous-lieutenant », et publie le {{1er}} volume des Œuvres et les hommes, vaste ensemble de recueils critiques où il entend juger la pensée, les actes et la littérature de son temps. En 1862, ses articles contre Les Misérables créent le scandale. Il quitte Le Pays à la suite d’un autre article contre Sainte-Beuve et part quelques mois travailler à ses romans chez Mme de Bouglon à la Bastide-d’Armagnac. En 1863, une chronique au Figaro qui ridiculise Buloz et la Revue des deux Mondes lui vaut un procès. Il persévère et s’en prend à l’Académie en publiant dans le Nain jaune les Quarante médaillons de l’Académie, pamphlet contre les membres de l’Institut. Le Chevalier des Touches paraît la même année, Un prêtre marié paraît l’année suivante. Le dernier Memorandum est composé en 1864, à l’occasion d’un voyage à Saint-Sauveur. En 1865, il quitte définitivement Le Pays et retourne au Nain jaune, devenu démocrate et anticlérical. Ses opinions sont diamétralement opposées à celles du journal, mais on le laisse libre de ses propos. Il y publie les Ridicules du temps et des articles de critique dramatique. Cette collaboration dure quatre ans. En 1867, il rencontre Léon Bloy, qui devient rapidement son disciple. En 1869, il entre au Constitutionnel où il s’occupera jusqu'à sa mort de critique littéraire. Les années suivantes, il alterne vie parisienne et séjours plus ou moins prolongés en Normandie. Paul Bourget raconte qu'il ne gagna alors rien de plus que les 500 francs par mois pour ses articles au Constitutionnel. À la fin du siège en 1871, il retourne à Valognes où il achève Les Diaboliques. Il entretient la flamme polémiste en publiant des articles antirépublicains.
Le connétable des lettres (1874-1889)
Portrait-charge]] d’André Gill.
Les Diaboliques sont publiées en novembre 1874. Les exemplaires sont immédiatement saisis et l’auteur est poursuivi pour {{citation}}. Barbey fait intervenir Arsène Houssaye et Gambetta pour éviter le procès. Il accepte de retirer l’ouvrage de la vente et le juge d'instruction conclut au non-lieu. L’œuvre sera rééditée en 1883 avec une préface, ajoutée par précaution. Durant les années qui suivent, il se rapproche de la génération montante : Bloy, Vallès, Daudet, Bourget, Rollinat, Jean Lorrain, Richepin, Huysmans, Coppée, Hello, Uzanne, Octave Mirbeau, ou encore Péladan, pour qui il préface Le Vice suprême — et d’autres écrivains autrefois éreintés : Banville, Hérédia, Taine. Edmond de Goncourt l’inscrit sur une des premières listes de l’Académie des Dix. En 1878, il publie Les Bas-bleus, cinquième volume des Œuvres et les hommes, consacré {{citation}}.
En 1879, il rencontre Louise Read, sa dernière amie et celle qui va se dévouer à sa gloire. En 1880, il publie Goethe et Diderot, un pamphlet. Une histoire sans nom, autre roman catholique dans lequel un moine capucin qui prêche l’Enfer croise la route d’une jeune fille innocente et somnambule, paraît en 1882 — c’est un succès. Il collabore au Gil Blas et publie en 1883 deux histoires d’inceste et d’adultère : Retour de Valognes (Une page d’histoire) et Ce qui ne meurt pas (un roman écrit presque 50 ans plus tôt). La tombe à Saint-Sauveur-le-Vicomte. Il donne également les troisième et quatrième Memorandum. En 1884, il publie des poésies, Les Rythmes oubliés et ses derniers articles de critique — il salue notamment À rebours le roman-manifeste fin de siècle de Huysmans. Malade du foie, il continue de fréquenter les salons de la baronne de Poilly, des Daudet et des Hayem, où ses causeries émerveillent. Il soutient les débuts à la scène de la jeune Marthe Brandès. En 1888, il publie Léa, l’une de ses premières nouvelles, puis Amaïdée en 1889, avant de tomber malade. Il s’éteint le 23 avril 1889. Les circonstances de sa mort vaudront de violentes attaques autour de son testament de la part du journal La France sous la plume du Sâr Joséphin Peladan, et un procès de ce dernier à l’encontre de Léon Bloy et de Léon Deschamps rédacteur en chef de la revue La Plume — Louise Read est instituée légataire universelle dès avril 1891. La quasi-totalité de la presse d’alors salue la condamnation du Sâr en octobre 1891. L’écrivain est inhumé au cimetière Montparnasse avant d’être transféré en 1926 au château de Saint-Sauveur-le-Vicomte. C’est Louise Read qui poursuivra la publication des Œuvres et les hommes.