Giovanni, José (1923-2004)
Biographie
Jeunesse
D'origine corse, Joseph Damiani a connu une enfance dorée et préservée du besoin. Ses parents, Barthélemy Damiani et Emilie Santolini, possédaient deux grands hôtels à Paris, l'Élysée Star et le Normandy, dont l'un a servi à l'installation d'un tripot clandestin (Barthélemy encourut plusieurs condamnations dont une à un an de prison pour « escroquerie et tenue de maison de jeux » le 19 décembre 1932 par la Cour d'appel de Paris). Alors que son père était un riche propriétaire, Damiani entreprit un parcours d'études des plus sérieux (collège Stanislas et lycée Janson-de-Sailly). Les condamnations de Barthélemy laissent la famille ruinée, mais ils parviendront à se retourner, s'installent en 1939 à Marseille et par la suite tiennent un hôtel à Chamonix. Là Joseph se découvre une passion pour la montagne. En 1942 Joseph s'inscrit à la Faculté libre de droit d'Aix-en-Provence mais il est défaillant aux examens de juin 1942 et mai 1943.
L'Occupation et la Collaboration
En avril 1943 Joseph Damiani rejoint à Chamonix le chantier de Jeunesse et Montagne (créé par l'Armée de l'Air dans le cadre des Chantiers de Jeunesse sous le contrôle de Pierre Laval du gouvernement de Vichy) qu'il quittera en septembre 1943.
En février 1944 il monte à Paris, où par son oncle maternel, Ange Paul Santolini dit « Santos », et son frère ainé, le milicien Paul Damiani, il se rapproche de la pègre. Il fréquente le milieu de Pigalle, en particulier les gangsters collaborateurs.
À Marseille son père le présente à son ami Simon Sabiani, secrétaire général de la LVF (Légion des volontaires français contre le bolchévisme), qui le fait adhérer au PPF, le parti fasciste antisémite de Jacques Doriot.
En mars 1944 il devient garde du corps du directeur allemand de l'OPA (Office de placement allemand) de la Canebière à Marseille et membre du Schutzkorps (SK) sous le numéro matricule 123. Il détient un ausweis (laissez-passer allemand) du 25 avril au 26 juin 1944 ainsi qu'une autorisation allemande de port d'armes. Il participe en Provence à de nombreuses arrestations, souvent accompagnées de chantage, de Français et d'étrangers qui sont envoyés travailler en Allemagne.
À Paris, Joseph Damiani aurait participé, sous uniforme allemand, à des opérations de chantage contre des trafiquants montées par son oncle « Santos ».
Dans la nuit du 30 juin au 1er juillet 1944, Joseph Damiani participe en compagnie de Bernard Madeleine, sous les couleurs de « la Résistance », à l'« expédition » d'un faux maquis mené par Edouard Dirand, dit « Eddy », dit « Lieutenant Georges », chez un commerçant de La Guerche-de-Bretagne qu'ils dévalisent.
En août 1944 il se rend à Lyon avec un complice, un certain Orloff, agent de la Gestapo, qui sera fusillé après la Libération pour intelligence avec l'ennemi le 8 mai 1945. Se présentant comme étant de la police allemande, ils y rançonnent deux négociants juifs.
Le triple assassinat
Après la Libération, Joseph Damiani, son frère Paul Damiani, ancien membre de la Milice gestapiste, Georges Accad, ancien membre de la Gestapo de l'avenue Foch et Jacques Ménassole, ancien milicien et garde du corps de Jean Hérold-Paquis de Radio-Paris — qui a revêtu l'uniforme d'un sous-lieutenant de l'Armée française pour l'occasion — se présentent le 18 mai 1945 chez Haïm Cohen, dit « Collu », représentant en vin, rue Gramont à Paris, comme étant de la sureté militaire. Ils l'emmènent en prétendant le confronter à des témoins qui l'accusent de marché noir. Dans une villa à Suresnes, « le Bon Repos », louée par les frères Damiani, il est torturé et contraint de livrer la clé de son coffre-fort et de leur remettre un chèque au porteur de {{unité}} avant d'être abattu d'une balle de 6,35 dans la tempe. Son corps est jeté dans la Seine au Pont de Sèvres. Joseph Damiani encaisse le chèque à la banque Barclay's sous l'identité du « comte J. de Montreuil ».
Quelques jours plus tard, le 31 mai suivant, sur les indications de Jacqueline Beausergeant, la maîtresse de Georges Accad, la bande, se faisant passer de nouveau comme étant de la sûreté militaire, se rend chez les frères Jules et Roger Peugeot, fabricants d'appareils électriques à Maisons-Alfort, et les emmènent à la villa de Suresnes « aux fins de confrontation ». Les deux frères sont enfermés dans la cave. Sous la menace des armes ils sont contraints de rédiger une lettre dans laquelle ils reconnaissent avoir fait des affaires avec les Allemands et eu des rapports avec la Gestapo. Les ravisseurs leur demandent un million de francs pour détruire la lettre. Ils refusent et sont torturés. Roger Peugeot finit par avouer avoir caché {{Unité}} d'or. Ayant trouvé le magot, ils emmènent Jules Peugeot sur la route de Mantes et l'abattent à coups de revolver près du Pont de Sans-Souci. De retour à la villa ils trouvent leur complice resté garder Roger Peugeot grièvement blessé et le prisonnier raide mort. Ils enterrent les deux frères dans la Forêt de Fausses-Reposes près du Chesnay.
Au cours de l'opération Joseph Damiani s'est accidentellement tiré une balle dans la jambe. Immobilisé, il est arrêté chez lui début juin 1945. Accad aussi est appréhendé. Le 12 juin 1945 Ménassole se suicide d'une balle dans la tête dans la station de métro Montmartre après avoir tiré sur les inspecteurs qui allaient l'arrêter. Paul Damiani est arrêté à Strasbourg, s'évade début décembre 1945 pendant le transfert pour la reconstitution du crime, et est abattu le 17 juin 1946 dans un règlement de comptes au « Bar des Santons » à Nice.
Condamnations à vingt ans de travaux forcés et à l'indignité nationale pour Collaboration
Inculpé d'« atteinte à la sécurité extérieure de l’État », Joseph Damiani est jugé par la Cour de justice de Marseille le 20 juillet 1946 pour appartenance au PPF, pour appartenance au Schuztkorps, pour avoir été le garde du corps du directeur de l'OPA de Marseille et pour arrestations de réfractaires au STO.
Il est condamné à vingt ans de travaux forcés pour avoir « en temps de guerre, entretenu des intelligences avec l'Allemagne ou ses agents ».
En outre, pour avoir appartenu au PPF, il est condamné à la dégradation nationale à vie.
Tentative d'évasion
En 1947, alors qu'il purge sa peine dans l'attente du procès d'assises pour le triple assassinat, Damiani et quatre de ses compagnons de détention de la Prison de la Santé font une tentative d'évasion qui échoue. À la suite d'une délation ils sont arrêtés dans l'un des égouts principaux de la ville de Paris où ils étaient parvenus grâce à un tunnel creusé durant des semaines et qui partait de leur cellule. C'est cet épisode qui inspirera son premier ouvrage, Le Trou.
Condamnation à mort pour trois assassinats
Le procès d'assises a lieu les 9 et 10 juillet 1948. Le Parisien libéré du jeudi 10 juillet 1948 titre : « La pègre des bars élyséens devant les Assises : Accad et Damiani appliquaient les méthodes de la Gestapo pour rançonner "leurs clients" ». Joseph Damiani accuse ses deux complices morts ; Ménassole du meurtre de Cohen et son frère Paul de celui de Roger Peugeot. Il accuse Accad du meurtre de Jules Peugeot qui reconnaît : « Jules Peugeot m'a sauté dessus. J'ai eu peur. J'ai tiré ». Joseph qui à l'instruction avait reconnu avoir tiré deux balles sur Roger Peugeot le nie maintenant : « Je me suis blessé à la cuisse en tirant la première balle dans la bagarre et je me suis évanoui. C'est Paul qui l'a tué. Il me l'a dit quand je suis revenu à moi ». Le procureur Turlan fait état de lettres de menace qu'il a reçues de la famille Damiani et réclame la mort : « J'obéis à ma conscience qui réclame la mort ; je la veux, Damiani, je l'aurai. ». Damiani fait sa dernière déclaration : « Je jure que je n'ai pas tué Roger Peugeot. Le fait que je me défende n'enlève rien à mes remords. C'est moi seul qui sais ce qu'a été ma vie et ce que sont mes remords. » Dans le dossier de la Cour de justice de Marseille comme dans celui de la Cour d'assises de Paris figure un rapport de police sur la moralité de Damiani qui conclut : « Il est permis de dire qu'on se trouve en présence d'un individu extrêmement nuisible à la société et qui, avant d'être assassin, a été traître à la cause de son pays et commis des actes relevant du plus pur gangstérisme ».
Le 10 juillet 1948 Joseph Damiani est condamné à mort, solidairement avec Georges Accad, par la Cour d'assises de Paris pour les trois assassinats avec préméditation.
Damiani échappe de peu à la guillotine. Le 17 novembre 1948 son pourvoi en cassation est rejeté. Mais le 3 mars 1949 il est gracié par le président Vincent Auriol, ainsi qu'Accad, et sa peine est commuée en travaux forcés à perpétuité.
Condamnation à dix ans de prison pour rançonnement de juifs cachés sous l'Occupation
Le 25 mai 1949 Damiani est jugé par la 10e chambre correctionnelle du tribunal de la Seine pour l'affaire de « vol aux faux policiers » de deux juifs en compagnie d'« Orloff » à Lyon le 11 août 1944. Joseph Gourentzeig (caché sous le nom de « André Courent » pour échapper aux recherches de la Gestapo), négociant en soierie, cherchait par tous les moyens à faire libérer ses parents qui avaient été arrêtés en tant que juifs par la Milice à Pusignan. Par plusieurs intermédiaires il entre en contact avec René Meunier, un jeune milicien qui doit intervenir contre finances pour faire libérer les parents Gourentzeig. À l'issue du rendez-vous où la somme lui est remise, surgissent deux hommes qui se présentent comme étant de la police allemande : « Orloff » et Joseph Damiani. Ils appréhendent Joseph Gourentzeig et son beau-frère Georges Edberg qui l'accompagnait et les conduisent au domicile de ce dernier où ils s'emparent, sous la menace de leurs armes, d'une grosse somme d'argent, de bijoux, de vêtements et de linge. Ils tirent plusieurs coups de feu pour obliger leurs victimes à transporter le butin jusqu'à leur voiture. Les parents de Gourentzeig ne sont pas libérés et son père, Jacob, sera fusillé quelques jours plus tard sur l'aéroport de Lyon à Bron.
Joseph Damiani est condamné à dix ans de prison pour vols commis en « alléguant un faux ordre de l'autorité étrangère ». Cette peine est confondue avec les travaux forcés à perpétuité.
Onze ans et demi de prison
Le 14 novembre 1951, Damiani obtient la réduction de sa peine à vingt ans de travaux forcés. Enfin, après les remises de peine régulières, le président René Coty remet le reste des travaux forcés le 30 novembre 1956 et Joseph Damiani sort libre de la Centrale de Melun le 4 décembre 1956 à l'âge de trente-trois ans après onze ans et demi de détention.
L'écrivain et Le Trou
Damiani avait tenu son journal pendant son séjour dans le couloir de la mort dans l'attente de la décision de la Cour de cassation puis celle de la grâce présidentielle. Grâce à son avocat, Stephen Hecquet, ce Journal d'un condamné à mort signé « X » avait été publié en juin 1952 dans les deuxièmes cahiers de Positions, édité par Le Soleil noir, Le temps des assassins.
À sa sortie de prison, sur les conseils d'Hecquet, Damiani écrit sous le nom de « José Giovanni » son premier roman, Le Trou, qui raconte sa tentative d'évasion. Hecquet fait lire le manuscrit à son ami Roger Nimier qui le « remet en forme » et le fait publier hors collection chez Gallimard en 1957. Le style de Giovanni, à la fois étrange et maladroit, ne manque pas d'étonner par ses trouvailles et ses images fortes, quelquefois difficilement supportables.
En 1958, Marcel Duhamel le fait entrer à la Série noire, où il se fait d'emblée remarquer par la publication de trois romans sortis la même année : Classe tous risques, L'Excommunié et Le Deuxième Souffle.
De la littérature au cinéma
Ses romans noirs à succès conduisent Giovanni vers le cinéma. Le cinéaste Jacques Becker s’était intéressé en 1947 à un article de journal relatant la tentative d’évasion de la Prison de la Santé et avait envisagé d'en faire un film. En 1958, à la lecture du premier roman de Giovanni, Becker reprend son projet et l'engage comme conseiller technique et co-scénariste pour la réalisation de son film Le Trou. Becker présente Giovanni à Claude Sautet pour lequel il écrit les dialogues de Classe tous risques. Les deux films sortiront en 1960. C'est le début d'une carrière cinématographique très longue au cours de laquelle il sera tour à tour auteur, scénariste puis réalisateur, et qui l'amène à laisser un peu de côté son œuvre littéraire.
En 1995, il revient à l'écriture et consacre à la mémoire de son père un roman autobiographique, Il avait dans le cœur des jardins introuvables, qu'il adaptera ensuite au cinéma avec Bruno Cremer sous le titre Mon père, il m'a sauvé la vie et qui sera son dernier film.
Révélation tardive d'un passé collaborationniste
En janvier 1984 Joseph Damiani avait été réhabilité, ce qui ne l'innocente pas mais lui rend ses droits civiques.
Alors que Giovanni n'avait jamais évoqué de manière claire le motif de sa condamnation à mort, et encore moins même mentionné ses condamnations pour Collaboration et extorsion de juifs sous l'Occupation, la presse suisse révèle en 1993 son passé collaborationniste. Le 14 octobre 1993 les quotidiens La Tribune de Genève et 24 Heures de Lausanne, faisant suite à l'enquête de l'agence de presse suisse BRRI (Bureau de reportage et de recherche d'information), accusent le cinéaste et romancier d'avoir collaboré avec les nazis et la Milice française, pendant la guerre. L'enquête dévoile que derrière l'ancien malfrat José Giovanni se cache en réalité un militant fasciste du nom de Joseph Damiani condamné à la Libération à vingt ans de travaux forcés et à la dégradation nationale pour Collaboration, à dix ans de prison pour rançonnement de juifs cachés, et condamné à mort pour trois assassinats crapuleux. Giovanni dément avec vigueur et indignation ces accusations, faisant valoir son « casier judiciaire vierge » (il avait été réhabilité), sa « carte de la Résistance française » (qu'il n'a jamais eue), rappelle que sa condamnation à mort sanctionnait des faits de droit commun et non de Collaboration et annonce son intention de porter plainte pour diffamation… ce qu'il ne fera jamais. Finalement il déclare : « J'ai payé. J'ai droit au pardon et à l'oubli. ».
Opinions sociales et politiques
Selon son site officiel, José Giovanni, homme de droite, défenseur de la famille et de l'ordre, était adversaire acharné de la peine de mort, mais justifiait la vendetta. Pour lui : « tout homme qui arrache un enfant des bras de sa mère mérite la mort ». Il dénonçait les abus de la justice, mais la voulait plus dure, défendait le rôle de la prison dans la société tout en consacrant, à la fin de sa vie, une partie de son temps à visiter les détenus qu’il ne voulait pas qu’on exclue.
De 1968 à sa mort il a vécu en Suisse aux Marécottes, village valaisan non loin de Chamonix.