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Bourdieu, Pierre (1930-2002)

Contents


Biographie

Famille

Pierre Bourdieu est né le {{date-}} dans les Pyrénées-Atlantiques à Denguin, petit village du Béarn. Il est le fils né du mariage d'Albert Bourdieu et Noëmie Duhau. Son père, issu de la petite paysannerie béarnaise, est d'abord ouvrier agricole, puis devient facteur et, par la suite, facteur-receveur, sans quitter son milieu rural{{,}}. Sa mère a une origine sociale proche, quoique légèrement supérieure, puisqu'elle est issue d'une lignée de propriétaires à Lasseube. Il est l'unique enfant du couple.

Il est le père du réalisateur Emmanuel Bourdieu.

Formation

Le lycée Louis-le-Grand, rue Saint-Jacques. Interne au lycée Louis-Barthou de Pau, excellent élève, Pierre Bourdieu est remarqué par un de ses professeurs, ancien élève de l’École normale supérieure (ENS), qui lui conseille de s’inscrire en classe préparatoire en khâgne au lycée Louis-le-Grand de Paris, en 1948.

Il est reçu à l’École normale supérieure de la rue d'Ulm en 1951. Celui que ses camarades appellent de son deuxième prénom, Félix, y retrouvera peu à peu ses anciens condisciples de classe préparatoire comme Jacques Derrida, Lucien Bianco ou Louis Marin. Alors que la scène philosophique française est dominée par la figure de Jean-Paul Sartre, par le marxisme et par l'existentialisme, Bourdieu réagit comme de nombreux normaliens de sa génération ; ces derniers se sont orientés préférentiellement vers l'étude des « courants dominés » du champ philosophique : le pôle de l'histoire de la philosophie proche de l'histoire des sciences, représenté par Martial Guéroult et Jules Vuillemin, et l'épistémologie enseignée par Gaston Bachelard et Georges Canguilhem.

Pierre Bourdieu soutient en 1953, sous la direction d'Henri Gouhier, un mémoire sur les Animadversiones de Leibniz{{refnec}}. En plus de son cursus, il suit aussi le séminaire d'Éric Weil à l'École pratique des hautes études sur la philosophie du droit de Hegel.

Agrégé de philosophie en 1954, il s'inscrit auprès de Georges Canguilhem pour une thèse de philosophie sur les structures temporelles de la vie affective, qu'il abandonne en 1957 afin de se consacrer à des études ethnologiques de terrain, ce qui représente déjà un déclassement dans la hiérarchie des disciplines du champ académique (il revient sur cette partie de sa trajectoire académique dans son ouvrage Esquisse pour une auto-analyse).

École normale supérieure]], Cour aux Ernests.

Début de carrière

Georges Canguilhem place son thésard à proximité de Paris, comme professeur au lycée de Moulins en 1954-1955. Mais Pierre Bourdieu doit remplir ses obligations militaires. Après avoir refusé de suivre la formation d’élève officier de réserve, il est affecté au service psychologique des armées à Versailles . Il est trouvé en possession d'un numéro censuré de L’Express relatif à la question algérienne. Il aurait ainsi perdu son affectation pour raisons disciplinaires, et, rapidement embarqué avec des jeunes appelés en Algérie dans le cadre de la « pacification », il y accomplit l’essentiel du service militaire, qui dure deux ans.

Il fait d'abord partie d'une petite section qui garde un dépôt d'essence. Puis, en raison de ses capacités rédactionnelles, il est affecté dans les services administratifs de la Résidence Générale, sous les ordres de Robert Lacoste. De 1958 à 1960, souhaitant poursuivre ses études sur l’Algérie, il prend un poste d’assistant à la Faculté des Lettres d’Alger{{refins}}.

Algérie : passage à la sociologie

kabyle]] traditionnel.

Cette période algérienne est décisive : c’est là, en effet, que se décide sa carrière de sociologue. Délaissant les {{citation}}{{refins}}, il conduit ainsi, sans formation initiale dans ce domaine, toute une série de travaux d’ethnologie en Algérie, qui aboutissent à l’écriture de plusieurs livres. Ses premières enquêtes le mènent dans les régions de Kabylie et de Collo, bastions nationalistes où la guerre fait rage. Sa Sociologie de l’Algérie, synthèse des savoirs existants sur ces trois départements français, est publiée dans la collection « Que sais-je ? » en 1958. Après l'Indépendance algérienne, il publie, en 1963, Travail et travailleurs en Algérie, étude de la découverte du travail salarié et de la formation du prolétariat urbain en Algérie, en collaboration avec Alain Darbel, Jean-Paul Rivet et Claude Seibel. En 1964, il publie Le Déracinement. La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, en collaboration avec son ami algérien Abdelmalek Sayad, sur la destruction de l’agriculture et de la société traditionnelle, et la politique de regroupement des populations par l’armée française. Après son retour en France, Bourdieu profite, jusqu’en 1964, des vacances scolaires pour collecter de nouvelles données sur l’Algérie urbaine et rurale de l’époque.

Le terrain ethnologique de la Kabylie ne cessa, même après qu’il eut cessé de s’y rendre, de nourrir l’œuvre anthropologique de Pierre Bourdieu. Ses principaux travaux sur la théorie de l'action Esquisse d’une théorie de la pratique (1972) et Le Sens pratique (1980) naissent ainsi d’une réflexion anthropologique sur la société kabyle traditionnelle. De même, son travail sur les rapports de genre, La Domination masculine (1998), s'appuie sur une analyse des mécanismes de reproduction de la domination masculine dans la société traditionnelle kabyle.

L'enquête algérienne s'appuie entre autres sur la pratique photographique, dont quelques clichés illustrent les livres publiés de son vivant par le sociologue. En 2012, les images prises par Pierre Bourdieu cinquante ans auparavant font l'objet d'une première exposition monographique, organisée à Tours par Christine Frisinghelli et Franz Schultheis sous l'égide du « Jeu de Paume », de Camera Austria et de la Fondation Bourdieu.

Chercheur et universitaire

{{section à sourcer}} En 1960, il regagne Paris, pour devenir l'assistant de Raymond Aron à l’université de Paris. Raymond Aron fait également de lui le secrétaire du Centre de sociologie européenne, institution de recherche qu'il a fondée en 1959, à partir de reliquat de structures d'après-guerre et avec l'aide financière de la fondation Ford.

Le jeune assistant de Raymond Aron obtient un poste de maître de conférences à l’université de Lille, qu'il occupe jusqu’en 1964, tout en continuant d'intervenir à Paris dans le cadre de cours et de séminaires. À Lille, il retrouve Éric Weil et fait connaissance avec l'historien Pierre Vidal-Naquet et surtout l'herméneute, philologue et germaniste, Jean Bollack qui devient un ami fidèle.

En 1962, il épouse Marie-Claire Brizard, avec laquelle il a trois enfants : Jérôme, Emmanuel et Laurent. Au milieu des années 1960, il s'installe avec sa famille à Antony, dans la banlieue sud de Paris. La famille rejoint le Béarn pendant les vacances scolaires. Pierre Bourdieu s'intéresse au Tour de France cycliste et pratique à bon niveau de nombreux sports individuels et collectifs, tels le tennis et le rugby.

École des hautes études en sciences sociales

En 1964, Bourdieu rejoint l’École pratique des hautes études (EPHE), puis en 1975 l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), cette dernière étant née de l'autonomisation d'une section de l'EPHE. La même année, sa collaboration commencée plus tôt avec Jean-Claude Passeron aboutit à la publication de l’ouvrage Les Héritiers, qui rencontre un vif succès et contribue à faire de lui un sociologue « en vue ».

À partir de 1965, avec Un Art moyen. Essais sur les usages sociaux de la photographie, suivi en 1966 par L’amour de l’Art, Pierre Bourdieu engage une série de travaux portant sur les pratiques culturelles, qui occupent une part essentielle de son travail sociologique dans la décennie suivante, et qui débouchent sur la publication, en 1979, de La Distinction : critique sociale du jugement, qui est son œuvre la plus connue et la plus importante pour le champ sociologique, et qui figure parmi les dix plus importantes œuvres sociologiques du monde au {{s-}} dans le classement établi par lInternational Sociological Association.

Patron de centre de recherche

À l'issue des événements de Mai 68, il rompt avec son maître Raymond Aron, penseur libéral, qui désapprouve ce mouvement social. En 1968, il fonde ainsi le Centre de Sociologie de l'éducation et de la culture qui s'émancipe du Centre de sociologie européenne. La même année, il publie avec Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron Le Métier de sociologue, un traité dans lequel ils exposent, à partir d’un choix de textes d’auteurs, les méthodes de la sociologie. L’ouvrage devait comporter trois volumes. Le second, qui porte sur le symbolisme dans la société, avait déjà son plan détaillé et ses matériaux.

En 1985, Pierre Bourdieu devient directeur du Centre de sociologie européenne, dont il avait assuré le premier développement au secrétariat au début des années 1960. Le CNRS exige en 1997 une fusion avec le Centre de sociologie de l'éducation et de la culture. La structure préservant les missions des deux entités est dirigée par son élève Rémi Lenoir.

La réception des travaux de Pierre Bourdieu dépasse progressivement le milieu de la sociologie française. Il est en particulier lu dans les milieux historiens francophones, notamment à l'EHESS. Les années 1970 voient émerger une reconnaissance anglo-saxonne{{refnec}}. L'Allemagne, grâce à l'action de Joseph Jurt, suit avec plus d'une décennie de retard. La reconnaissance internationale permet à Pierre Bourdieu d'accomplir de nombreux voyages, et des séjours plus ou moins longs, parfois en famille, émaillés de conférences, principalement dans les pays anglo-saxons, au Japon, en Allemagne et en Scandinavie.

Collège de France

Fronton du Collège de France.

Grâce notamment à l'appui d'André Miquel, il devient professeur au Collège de France en 1981.

Il est le premier sociologue à recevoir la médaille d'or du CNRS en 1993. On peut ainsi souligner le paradoxe d’un homme qui n’a cessé de se vivre comme à la marge des institutions académiques dominantes, dont il a même entrepris l’étude critique, par exemple dans Homo academicus, alors même qu’il a réalisé une des « carrières » universitaires les plus exemplaires qui soient.

Éditeur

Parallèlement à sa carrière universitaire, Pierre Bourdieu a mené une importante activité d'éditeur, qui lui a permis de pleinement diffuser sa pensée. En 1964, il devient directeur de la collection « Le sens commun » aux éditions de Minuit, jusqu’en 1992 où il change d’éditeur, au profit des éditions du Seuil. Dans cette collection, Pierre Bourdieu publie la plupart de ses livres, ainsi que ceux de chercheurs influencés par lui, favorisant ainsi la diffusion de sa pensée. Bourdieu publie également des classiques des sciences sociales (Émile Durkheim, Marcel Mauss, etc.) ou de la philosophie (Ernst Cassirer, Erwin Panofsky, etc.). La collection fait également découvrir aux lecteurs français des sociologues américains de premier plan (traductions d’Erving Goffman). Après son passage aux éditions du Seuil, il y fonde la collection « Liber », en continuité avec la collection « Le sens commun ».

En 1975, il crée, notamment avec le soutien de Fernand Braudel, la revue Actes de la recherche en sciences sociales, qu'il dirige jusqu'à sa mort. Cette publication est un lieu d’exposition de ses travaux et de ceux de ses élèves. Elle se démarque des revues universitaires traditionnelles par le recours à de nombreuses illustrations (photographie, bande dessinées, etc.), son grand format et sa mise en page.

En 1995, à la suite des mouvements sociaux et pétitions de novembre-décembre en France, il fonde une maison d'édition, Raisons d’agir, à la fois militante et universitaire, publiant des travaux, souvent de jeunes chercheurs qui lui sont liés, procédant à une critique du néolibéralisme.

Engagement

À partir du début des années 1980, Pierre Bourdieu s’implique davantage dans la vie publique. Il participe notamment au soutien à Solidarność en partie en raison de la sollicitation de Michel Foucault. En 1981, Bourdieu avec Gilles Deleuze et d'autres intellectuels soutiennent le principe de la candidature de Coluche à l’élection présidentielle{{refnec}}. Bourdieu voyait dans les accusations de poujadisme portées contre la candidature de Coluche par les hommes politiques, la volonté de ces derniers de préserver leur monopole de la représentation politique, et de se protéger contre la menace d’un « joueur » qui refuse les règles habituelles du jeu politique, montrant ainsi leur arbitraire. Ce n'est que dans les années 1990 qu'il s'engage pleinement dans la vie publique, réinvestissant la figure de l’intellectuel engagé.

Durant la guerre civile en Algérie, il soutient les intellectuels algériens.

Lors du mouvement de novembre/décembre 1995, il défend les grévistes. En 1996, il est l’un des initiateurs des « États généraux du mouvement social ». Il soutient également le mouvement de chômeurs de l’hiver 1997-1998, qui lui apparaît comme un « miracle social ».

L’axe central de son engagement consiste en une critique de la diffusion du néolibéralisme et des politiques de démantèlement des institutions de l’État-providence.

Sans qu’il soit favorable à une solution alternative au capitalisme, sa critique sociale fait de lui une des figures du mouvement altermondialiste, alors naissant. La plupart de ses interventions sont regroupées dans deux ouvrages intitulés Contre-feux.

De cette période date également La Misère du monde (1993), ouvrage d’entretiens, qui cherche à montrer les effets déstructurants des politiques néolibérales, et qui remporte un très important succès public.

Influence et oppositions

L’implication de Bourdieu dans l’espace public lui assure une renommée dépassant le monde universitaire, faisant de lui un des grands intellectuels français de la seconde moitié du {{XXe siècle}}, à l’instar de Michel Foucault ou Jacques Derrida. Toutefois, à l’image de ces deux philosophes, sa pensée, bien qu’elle ait exercé une influence considérable dans le champ des sciences sociales n’a pas cessé de faire l’objet de vives critiques, l’accusant par exemple de réductionnisme.

La tombe de Pierre Bourdieu au cimetière du Père-Lachaise.

Il est, dans les médias, un personnage à la fois recherché et contesté, selon l’expression d’un magazine, le plus « médiatique des anti-médiatiques ». Cette figure centrale de la vie intellectuelle française est l'objet de nombreuses controverses. On peut y voir le produit de ses critiques du monde médiatique, ainsi que de son engagement antilibéral. Sa participation à l’émission Arrêt sur images du {{date}} constitue un épisode à la fois marquant et révélateur du rapport que Pierre Bourdieu a pu entretenir avec les médias : l’émission, qui faisait suite à la grève de novembre/décembre 1995, devait rendre compte du traitement médiatique de celle-ci ; Bourdieu en était l’invité principal : considérant qu'il a été empêché de développer librement ses analyses et qu'il a fait l’objet de violentes critiques de la part des autres invités, professionnels des médias — Guillaume Durand et Jean-Marie Cavada —, il y voit la confirmation de l’impossibilité de « critiquer la télévision à la télévision parce que les dispositifs de la télévision s’imposent même aux émissions de critique du petit écran ». Peu de temps après, il écrit un petit ouvrage, Sur la télévision, où il cherche à montrer que les dispositifs des émissions télévisuelles sont structurés d’une manière telle qu’ils engendrent une puissante censure de toutes les paroles critiques de l’ordre dominant.

Décès

Il meurt le {{date}} d’un cancer des poumons généralisé à l'hôpital Saint-Antoine, après avoir souffert d'un intense mal du dos d'origine inconnue. Travaillant durant ses derniers mois à la théorie des champs, il entreprend la rédaction d'un ouvrage, resté inachevé, sur le peintre Édouard Manet, en qui il voit une figure centrale de la révolution symbolique fondatrice de l'autonomie du champ artistique moderne. Peu de temps avant sa mort, Bourdieu termine son Esquisse pour une auto-analyse, œuvre qu'il se refuse à décrire comme autobiographique mais dans laquelle il s'efforce de rendre compte de sa trajectoire sociale et intellectuelle, à partir des outils théoriques qu'il a forgés. Il entend y donner seulement les « traits pertinents » pour le comprendre et pour comprendre son œuvre. Il envoie le manuscrit achevé de l'ouvrage à son éditeur allemand, qui le publie en 2002. Le livre paraît en 2004 en français.

Sa mort suscite une importante couverture médiatique, qui témoigne de sa reconnaissance internationale.

Sa tombe se situe au cimetière du Père-Lachaise, à Paris, près de celles de Claude Henri de Rouvroy de Saint-Simon et de Jean Anthelme Brillat-Savarin.