Sollers, Philippe (1936-....)
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Biographie
Issu d'une famille d'industriels de la région bordelaise, Philippe Joyaux fait ses études au lycée de Talence (futur lycée Victor-Louis) de la {{6e}} 1A en 1946/47 jusqu'à la {{1re}} 1B en 1951/52. Il déménage à Paris en 1955 pour faire ses études supérieures au lycée Sainte-Geneviève de Versailles puis à l'ESSEC, qu'il quitte en fin de première année pour s'inscrire en lettres à la Sorbonne. Délaissant sa scolarité, il rencontre Francis Ponge lors des conférences de ce dernier à l'Alliance française et commence à fréquenter les milieux littéraires parisiens.
Philippe Sollers à Bordeaux dans le parc de la propriété familiale en 1937 avec sa mère et sa sœur Annie.
Philippe Joyaux a dérivé de son nom celui du personnage Philippe Diamant de son roman Portrait d'un joueur. Certaines « notices d'autorité » suggèrent qu'il l'a aussi utilisé comme pseudonyme mais on n'a connaissance d'aucun texte signé Philippe Diamant.
Premières publications
En 1957, il publie Le Défi, son premier texte, dans la revue Écrire dirigée par Jean Cayrol aux Éditions du Seuil. En 1958, il devient célèbre en publiant son premier roman, Une curieuse solitude. Ses premières œuvres, de facture classique, suscitent alors des critiques élogieuses de la part de François Mauriac et de Louis Aragon.
En 1960, Philippe Sollers participe à la fondation de la revue Tel Quel aux Éditions du Seuil et en devient rapidement le principal animateur. Les textes publiés dans la revue revisitent les œuvres de nombreux auteurs, dont certains sont méconnus ou controversés : Lautréamont, Dante, Artaud, Bataille, Joyce, Derrida, Foucault, Barthes.
En 1962, pour éviter d'être mobilisé en Algérie, Philippe Sollers simule la schizophrénie et reste pendant trois mois sous observation à l'hôpital militaire de Belfort. Il sera réformé après l'intervention d'André Malraux.
Une nouvelle écriture
En parallèle, délaissant le style classique de son premier roman, Philippe Sollers publie, en 1961, Le Parc (pour lequel il reçoit le Prix Médicis), puis L'Intermédiaire en 1963. Ses travaux romanesques suivants témoignent d'une recherche stylistique marquée par l'abandon des structures narratives traditionnelles, l'influence de la culture chinoise et par l'exploration des limites de l'écriture et de l'abstraction. Cela le conduit, dans un premier temps, à écrire des textes structurés de façon rationnelle. Ainsi, Drame (1965) est construit selon une structure de 64 sections, analogue à celle de l’échiquier et du yi jing. Poursuivant dans cette veine, Nombres (1968) est un texte découpé en 25 cycles successifs de quatre séquences, rappelant la structure d'un carré en perpétuelle rotation.
Dans un second temps, son écriture évolue vers une tendance à l'éclatement des structures avec Lois (1972), qui explore les rapports du langage, de l'histoire et de l'inconscient. Cette œuvre est, en particulier, très marquée par l'influence de Finnegans Wake de James Joyce, dont Philippe Sollers traduit à la même époque des passages avec Stephen Heath.
Fasciné par la scansion des textes religieux (en particulier de la Bible), il en vient à abandonner toute ponctuation visible pour libérer son expression avec H (1973) et réfère à Ezra Pound qui selon lui est allé au-delà de l'écriture automatique. Dans la foulée, il entame, à partir de 1974, la rédaction continue de Paradis, qui paraît sous la forme d'un feuilleton dans Tel Quel jusqu'en 1982. Ce roman, considéré par beaucoup comme l'œuvre majeure de Philippe Sollers, se présente comme une « machine » capable d'enregistrer et re-transcrire « tout ce qui est dit » à l'heure post-moderne. Paradis 1 est publié en 1981, suivi de Paradis 2 en 1986. En 2000, Philippe Sollers déclare, au cours d'un entretien, que la rédaction de cette œuvre est toujours en cours.
Intérêt pour la Chine
Admirateur de la Chine, il entrevit, au-delà de son engagement maoïste, à la suite de la révolte de mai 1968, l'influence culturelle croissante de l'empire du Milieu en ce début de {{s-}}.
Son engagement l'amène aussi à défendre les thèses de Maria-Antonietta Macciocchi au début des années 1970 ou à dénoncer, à la fin des années 1990, la « France moisie », pour illustrer la xénophobie latente présente, selon lui, dans l'opinion française. Tout en étant un auteur prolifique, Philippe Sollers apparaît souvent dans les médias comme un personnage controversé et provocateur (« une façon d'étudier sur le vif la croyance sociale aux images », selon ses propres termes), et pour casser l'image traditionnelle des écrivains et agacer ses détracteurs.
En novembre 1976, avec quelques intellectuels dont Maria-Antonietta Macciocchi et Pierre Halbwachs, il signe un texte, publié dans le journal Le Monde, critiquant la nouvelle ligne chinoise menée par Deng Xiaoping et soutenant Jiang Qing, veuve de Mao et arrêtée dans la nuit du 6 au 7 octobre, leader de la Bande des quatre{{,}}.
Philippe Sollers reconnaîtra plus de trente ans après la justesse des analyses de Simon Leys qui fut un des premiers sinologues à dénoncer le régime maoïste dans son ouvrage Les Habits neufs du président Mao publié en 1971 :
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À partir des années 1980
En 1982, Philippe Sollers arrête la publication de Tel Quel aux Éditions du Seuil et crée la revue L'Infini aux éditions Denoël puis, rapidement, aux éditions Gallimard. Il entame alors la publication d'une série de romans écrits dans une veine plus « figurative » que les précédents, sans toutefois revenir à la structure du récit narratif. Influencé par la lecture de Céline, Paul Morand et des grands auteurs américains — William Faulkner, Ernest Hemingway, Henry Miller, William S. Burroughs, Jack Kerouac ou encore Charles Bukowski —, il publie Femmes. Ce roman, empruntant au style de Louis-Ferdinand Céline, analyse entre autres les conséquences du féminisme et des bouleversements politiques et artistiques de l'histoire à travers la vie aventureuse d'un journaliste américain. Le pouvoir et la sexualité sont étudiés et exposés à partir de la thèse : « Le monde appartient aux femmes. C'est-à-dire à la mort. Là-dessus tout le monde ment. » Son écriture est de plus en plus marquée par une utilisation du cut-up et de la réflexion intérieure.
Suivent d'autres ouvrages dans le même esprit : Portrait du joueur (retour aux sources en Gironde et passion épistolaire), Le Cœur absolu (récit de libertinages), Les Folies françaises (inceste heureux et culture française), Le Lys d'or (traitement de la frigidité par la lecture), La Fête à Venise (réflexion sur la peinture autour des figures de Watteau, Warhol, Monet et Cézanne), Studio (réflexion sur la poésie autour des figures de Rimbaud et de Hölderlin), Passion fixe (le couple et la littérature), L'étoile des amants (l'évasion et la nature) et, enfin, Une vie divine (Nietzsche, la philosophie et les femmes).
L'essayiste et biographe
Sollers est également l’auteur d'essais d'histoire de l’art, dont il a une conception fondée sur la défense de l'individu, de la création et du plaisir (Théorie des exceptions, La Guerre du goût, Éloge de l'infini, Fleurs). Principalement axé sur la littérature (Dante, Sade, Lautréamont, Proust, Genet, Kafka, etc.), la musique (Bach, Haydn, Mozart, Miles Davis) et les arts plastiques (peintres vénitiens et de la renaissance italienne, peinture française du {{XVIIIe siècle}}, impressionnistes, peintres modernes américains), son propos se développe néanmoins dans tous les domaines (théologie, philosophie, histoire, sociologie, psychanalyse).
Sollers a écrit plusieurs monographies sur des artistes (Watteau, Picasso, Fragonard, Bacon, Cézanne, Rodin) et trois biographies romancées (Vivant Denon, Casanova, Mozart).
L'éditeur et intellectuel français
Sollers, qui habite régulièrement à Venise ou à l'île de Ré, dirige également la collection L'Infini et participe au comité de lecture des éditions Gallimard. En tant que directeur de collection chez Gallimard, il a contribué à la publication des œuvres de Frédéric Berthet, Jean-Jacques Schuhl, Gabriel Matzneff, Marc-Edouard Nabe, David di Nota, Valentin Retz ou Yannick Haenel.
En revanche, il a, en 1992, fait le choix éditorial de refuser Hygiène de l'assassin, le premier roman à succès d'Amélie Nothomb.
Figure du paysage intellectuel et littéraire français de la seconde moitié du {{XXe siècle}}, Philippe Sollers fut proche, au cours des années 1960-70, entre autres de Jacques Lacan, de Michel Foucault, de Louis Althusser et, surtout, de Roland Barthes, qui sont décrits dans le roman Femmes (1983).
Dans un entretien publié en juin 1992 dans art press, il décrit ironiquement Althusser comme un personnage empêtré dans la métaphysique, « surveillé jour et nuit par les flics de la métaphysique… il n’a pas trouvé autre chose à faire qu’à supprimer le pauvre être humain féminin qui vivait à ses côtés, dont on a appris d’ailleurs, après sa mort, et comme par hasard, qu’elle était juive ». On entendra également après la mort d’Althusser Sollers défendre la thèse selon laquelle l’exclusion de Lacan de l’École Normale supérieure en 1969 n’avait pas pu se faire sans l’accord de Jacques Derrida et de Louis Althusser. Il y reviendra encore le 6 septembre 2011, lors d’une réunion organisée à Paris par Jacques-Alain Miller, dans ces termes : « Althusser et Derrida s’étaient tous les deux employés à rétablir l’ordre des choses qui était l’ordre communiste… » L'exclusion ne put donc se faire qu'avec leur accord. Après s’en être pris violemment à d’autres intellectuels, il revient encore à la charge : « Lacan a-t-il été expulsé oui ou non de l’ENS ? sur le propos de qui… en embuscade ? d’Althusser et de Derrida, eux-mêmes à l’époque très impliqués dans la question cruciale du PCF… ».
Reposant essentiellement sur des éléments autobiographiques ou « autofictifs », son œuvre romanesque témoigne d'un rejet des structures narratives traditionnelles. Au-delà des multiples recherches formelles qui ponctuent ses romans, l'écriture de Philippe Sollers se caractérise par une constante à travers l'emploi d'un style parlé combinant la voix, la musique et le théâtre à la manière d'un opéra. Un thème récurrent de son œuvre concerne la lutte (une « guerre » selon les termes de Sollers) de l'individu créatif à la recherche du bonheur face à la société improductive, falsificatrice et répressive. Ses travaux critiques illustrent également ce thème, en défendant une conception de l'histoire de l'art, où les artistes sont considérés comme des « exceptions » à la société et la création artistique comme une « expérience des limites ».
« Hommage » à sa notoriété, Sollers apparaît comme personnage dans un bon nombre d'œuvres de tiers. Il est évoqué, par exemple, dans La Tache (et dans Opération Shylock), de Philip Roth, ou encore dans Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq. Il est aussi l'un des personnages principaux de La Septième Fonction du langage, roman satirique de Laurent Binet sur le milieu intellectuel français des années 1980.
Vie privée
Philippe Sollers est marié, depuis 1967, à Julia Kristeva, sémiologue, écrivain et psychanalyste d’origine bulgare, et fut également durant plus de cinquante ans un intime de Dominique Rolin (1913-2012).