Artaud, Antonin (1896-1948)
Biographie
Sur la question de la biographie Florence de Mèredieu prévient que l'œuvre et la vie d'Artaud sont « un titanesque effort pour ruiner les balises et limites censées canaliser l'existence et l'être d'un individu . » Il se met en scène en continu, vivant comme à distance de lui-même. Il écrit « Antonin Artaud fut d'abord un modèle perverti, une esquisse essayée que j'ai reprise moi-même à un certain moment, pour rentrer chez moi habillé » Il va passer sa vie à perturber toutes les données de ce que l'on dénomme, dans nos sociétés un état civil.
1896-1920
Antonin Artaud est né le {{Date de naissance}} à Marseille. Il est issu d'une famille bourgeoise aisée. Son père, Antoine-Roi Artaud, capitaine au long cours, et sa mère, Euphrasie Nalpas, sont cousins germains : ses deux grands-mères sont sœurs, toutes deux nées à Smyrne (Izmir - aujourd'hui en Turquie). L'une, Catherine Chilé, a été élevée à Marseille, où elle a épousé Marius Artaud, l'autre, Mariette Chilé, a grandi à Smyrne, où elle a épousé Louis Nalpas. Son oncle maternel, John Nalpas, rencontre la sœur de son père, Louise Artaud lors du mariage de leurs frères et sœurs, et ils se marient aussi. John et Louise s'installent à Marseille, les familles sont très proches, les enfants forment une tribu soudée. Antonin connaît à Marseille une petite enfance choyée dont il garde des souvenirs de tendresse et de chaleur.
Cette enfance est cependant perturbée par la maladie. La premier trouble apparaît à l'âge de quatre ans et demi, lorsque l'enfant se plaint de maux de tête et qu'il voit double. On pense à une méningite consécutive à une chute. Déjà, on préconise l'électricité pour le soigner. Son père se procure une machine qui transmet l'électricité par des électrodes fixées sur la tête. Cette machine est décrite dans le Traité de thérapeutique des maladies nerveuses du docteur Grasser. Bien que très différent des électrochocs, ce système relève de l'électrothérapie et l'enfant Artaud en a beaucoup souffert.
D'autres traumatismes suivront. À six ans, il aurait failli se noyer lors d'un séjour chez sa grand-mère de Smyrne Mais son premier grand choc vient de la mort d'une petite sœur âgée de sept mois, bousculée par un geste violent d'une bonne. Elle apparaît dans les écrits d'Antonin Artaud comme une de ses « filles de cœur » : {{Citation bloc}}
Cependant, Antonin a aussi le sens du jeu et de la mise en scène. C'est à lui que l'on confie la mise en place de la crèche à Noël chaque année. Pour les enfants de la famille son talent de metteur en scène apparaît dans ses tableaux vivants : reproduction de tableaux célèbres, ou spectacles familiaux montés avec ses cousins. Souvent, les spectacles d'Antonin ont des « résonances macabres » : un enterrement au crépuscule, (Antonin tenant le rôle du cadavre). Une autre fois il invente une mise en scène pour effrayer son cousin Marcel Nalpas. C'était, selon le récit de sa sœur, une mise en scène macabre avec installation de têtes de mort et de bougies dans une chambre. Antonin fait ensuite entrer Marcel en déclamant un poème de Baudelaire. D'abord effrayé, Marcel a ensuite bien ri, avec Antonin. Dans ce Théâtre de la cruauté, Théâtre de la peur Marie-Ange voit l'influence d'Edgar Poe.
Artaud a quatorze ans lorsqu'il fonde avec ses camarades du collège du Sacré-Cœur de Marseille, dirigé par les maristes, une petite revue où il publie ses premiers poèmes inspirés de Charles Baudelaire, d'Arthur Rimbaud ou Edgar Poe. Mais lors de sa dernière année de collège, en 1914, il est atteint de dépression, ne se présente pas au baccalauréat, et l'année suivante, sa famille le conduit à Montpellier pour consulter un spécialiste des maladies nerveuses. Il est envoyé au sanatorium de la Rouguière, en 1915 et 1916 et publie en février 1916 des poèmes dans La Revue de Hollande. Le conseil de révision le déclare d'abord bon pour le service avant que l'armée le réforme provisoirement pour raisons de santé, puis définitivement en décembre 1917 grâce à l'intervention de son père.
L'année 1914 est un tournant dans la vie du jeune homme, à cause de la guerre, mais c'est aussi pour Antonin sa dernière année de collège. Il doit passer l'examen de philosophie, mais son état de santé ne le lui permet pas. Artaud est en état de dépression après avoir connu sa première expérience sexuelle, qu'il décrit comme dramatique, comme un traumatisme sur lequel il reviendra souvent dans ses écrits. Il a le sentiment qu'on lui a volé quelque chose. C'est ce qu'il exprime à Colette Allendy en 1947, peu avant sa mort.
Entre 1917 et 1919, il fait un certain nombre de séjours dans des lieux de cure et maisons de santé. Il peint, dessine, écrit. Pus tard, lors de son séjour à l'hôpital Henri-Rouselle pour une cure de désintoxication, il indique qu'il a commencé à prendre du Laudanum en 1919. {{citation}}
1920 1924, premières années à Paris
Théâtre : la période Dullin
En 1920, sur les conseils du docteur Dardel, sa famille confie Antonin Artaud au docteur Édouard Toulouse, directeur de l'asile de Villejuif, dont il devient le co-secrétaire pour la rédaction de sa revue Demain. Le docteur l'encourage à écrire des poèmes, des articles, jusqu'à la disparition de la revue en 1922. En juin de cette même année 1920 Artaud qui s'intéresse au théâtre rencontre Lugné-Poë, et il quitte Villejuif pour s'installer dans une pension à Passy. Il s'intéresse aussi au mouvement Dada et découvre les œuvres d'André Breton, celles de Louis Aragon, Philippe Soupault.
Il rencontre Max Jacob qui l'oriente vers Charles Dullin. Dullin l'intègre dans sa compagnie. Là, il rencontre Génica Athanasiou dont il tombe amoureux et à laquelle il écrit un grand nombre de lettres réunies dans le recueil Lettres à Génica Athanassiou avec deux poèmes. Leur passion orageuse va durer 6 ans. Jusqu'en 1922, Antonin Artaud publie poèmes, articles et comptes-rendus à plusieurs revues : Action, Cahiers de philosophie et d'art, L'Ère nouvelle, revue de l'entente des gauches{{,}}. L'aventure théâtrale 'Artaud commence en 1922 avec la première répétition des spectacles de l'atelier, où il joue L'Avare de Molière. Suivront d'autres rôles, toujours avec Dullin qui lui demande de dessiner les costumes et les décors de Les Olives de Lope de Rueda. Un exemplaire de ces dessins est conservé au Centre pompidou. Toute l'année 1922 est occupée par le théâtre et par les nombreux rôles que joue Artaud malgré sa santé défaillante et malgré les difficultés financières de la compagnie Il interprète notamment Apoplexie dans La Mort de Souper adaptation de la Condamnation de Banquet de Nicole de La Chesnaye.
En même temps, il produit aussi à la demande de Daniel-Henry Kahnweiler un recueil de 8 poèmes tiré à 112 exemplaires et il fait la connaissance d'André Masson, de Michel Leiris, de Jean Dubuffet, de Georges Limbour. Sa correspondance témoigne de l'intérêt que lui portaient artistes et écrivains Elle occupe une très grande place dans le recueil de ses œuvres.
En 1923, il publie, à compte d'auteur et sous le pseudonyme d'Eno Dailor, le premier numéro de la revue Bilboquet, une feuille composée d'une introduction et de deux poèmes : {{Citation bloc}}
1923 est l'année où Artaud ajoute le cinéma aux modes l'expression qu'il cultive (peinture, littérature, théâtre). Le 15 mars, le cinéaste René Clair lance une vaste enquête dans la revue Théâtre et Comoedia illustré car selon lui, peu de cinéastes savent tirer partie de « l'appareil de prise de vue . » Il se tourne alors vers des peintres, sculpteurs, écrivains, musiciens, en leur posant la double question : 1)« Quel genre de films aimez-vous ? », 2) « Quel genre de films aimeriez-vous que l'on créât? ». Antonin Artaud répond qu'il aime le cinéma dans son ensemble car tout lui semble à créer, qu'il aime sa rapidité et le processus de redondance du cinématographe. Il aura par la suite l'occasion de tourner avec un grand nombre de réalisateurs parmi lesquels Carl Dreyer, G.W Pabst, Abel Gance. Le cinéma lui apparaît {{Citation}}
Le mois de mars 1923 est aussi celui de sa rupture avec Charles Dullin, au moment où l'Atelier crée Huon de Bordeaux mélodrame dans lequel Artaud a le rôle de Charlemagne. Mais il est en total désaccord avec le metteur en scène et l'auteur de la pièce sur la manière de jouer. Le 31 mars, le rôle est repris par un autre acteur : Ferréol. Interrogé par Jean Hort, Artaud aurait dit : {{Citation}}
De André de Lorde à Jacques Hébertot et à Pitoeff
Par l'intermédiaire de Madame Toulouse, Antonin est présenté à André de Lorde, auteur de Grand-Guignol, bibliothécaire de métier. André de Lorde a déjà mis en scène une adaptation d'une nouvelle d'Edgar Poe Le Système du docteur Goudron et du professeur Plume qui se déroule dans un asile d'aliénés. Et il a mis au point ce qu'il nomme le « Théâtre de la peur » et le « Théâtre de la mort », un style qui va inspirer Antonin Artaud pour le Théâtre de la cruauté. Engagé par Jacques Hébertot, Artaud interprète le rôle du souffleur au Théâtre de la Comédie des Champs-Élysées dans la pièce de Luigi Pirandello : Six personnages en quête d'auteur montée par Georges Pitoëff, avec Michel Simon dans le rôle du directeur. Artaud et Simon ont en commun une grande admiration pour Alfred Jarry.
La correspondance d'Antonin Artaud avec Jacques Rivière, directeur de la NRF, commence cette année-là, en mai-juin, alors qu'Artaud joue au théâtre Liliom de Ferenc Molnár mis en scène par Pitoëff. Unecorrespondance que Rivière publie plus tard. L'essentiel de sa formation théâtrale est due à Pitoëff sur lequel Artaud ne tarit pas d'éloges dans ses lettres aux Toulouse ou à Génica avec laquelle il vit « un an d'amour entier, un an d'amour absolu ».
Dans ses lettres à Génica, Antonin détaille tous les évènements de sa vie quotidienne, même les plus infimes. Ces Lettres à Génica sont réunies en recueil, précédé de Deux Poèmes à elle dédiés.
1924-1927 l'entrée en littérature, la période surréaliste
En 1946, Antonin Artaud décrit son entrée en littérature ainsi : {{Citation}}
Sa véritable entrée en littérature commence dans les années 1924-1925, période de ses premiers contacts avec la NRF et de sa Correspondance avec Jacques Rivière qui est publiée en 1924. Jacques Rivière a refusé les poèmes d'Artaud, et c'est à partir de ce refus que s'est établie cette correspondance entre les deux hommes. Cette première publication fait apparaître le rôle très particulier que l'écriture épistolaire joue dans toute l'œuvre d'Artaud. La critique littéraire s'accorde à trouver les poèmes refusés assez conventionnels, tandis que les lettres témoignent, par leur justesse de ton, de la sensibilité maladive d'Artaud que l'on retrouve même dans les plus courts billets et aussi dans ses lettres à Génica, et ses lettres au docteur Toulouse.
Dans ces années-là, si Artaud se plaint de la nécessité de prendre des substances chimiques, mais il défend aussi l'usage des drogues. C'est l'usage des drogues qui lui permet {{Citation}} Dans les milieux de la littérature, mais aussi du théâtre et du cinéma, l'usage de l'opium est très répandu, vanté jusque dans les milieux surréalistes, le surréalisme se présentait lui-même comme une drogue dans la préface de La Révolution Surréaliste : {{Citation}}.
Cette métaphore indique que c'est à la littérature de jouer le rôle de stupéfiant. Mais Artaud préfère se heurter au réel et il vante les mérites de la lucidité anormale que la drogue lui procure dans L'Art et la mort. L'opium constitue pour lui un territoire de transition qui finit par dévorer tous ses territoires. Bien que Jean Cocteau ait avertit que {{Citation}}, mais cela a tout pour plaire au grand anarchiste qu'est Artaud.
Dès 1924, il adhère au surréalisme, et tout en se lançant à l'assaut de le république des lettres il entame une carrière de théâtre et de cinéma.
Inspiré par les tableaux d'André Masson, il rédige son premier texte pour le numéro 1 de la revue La Révolution surréaliste paru en janvier 1925. C'est son admiration pour Masson qui le conduit à adhérer au mouvement surréaliste, en même temps que le peintre, le 15 octobre 1924. Artaud, qui n'a vécu ni l'expérience Dada, ni les premiers temps du surréalisme, est tout d'abord circonspect sur la théorie de l'automatisme psychique chère à André Breton. Son passage par le surréalisme va d'ailleurs moins influer sur son évolution littéraire, que ce qui reste, dans le groupe, de l'anarchisme de Dada. De 1924 à 1926, Artaud participe activement au mouvement avant d'en être exclu. La permanence de la Centrale du bureau de recherches surréalistes, créée le 11 octobre 1924 au 15 rue de Grenelle, est assurée par Pierre Naville et Benjamin Péret qui en sont les directeurs. Le dynamisme des textes de Artaud, sa véhémence, apportent un sang neuf à un mouvement qui s'étiole, et soutenu par Breton, il a pour mission de « chasser du surréalisme tout ce qui pourrait être ornemental ».
Après l'Enquête sur le suicide parue dans le {{n°}} de la revue, , Artaud rédige une adresse au Pape dans le {{n°}} de la Révolution surréaliste (15 avril 1925) qu'il remanie en 1946 lors du projet de publication des œuvres intégrales d'Antonin Artaud, ainsi qu'une Adresse au Dalï-Lama qu'il remanie en 1946 toujours dans l'optique d'une publication d'œuvres complètes. D'autres textes sont encore publiés dans la revue. Mais le lien avec le collectif ira en s'amenuisant jusqu'à la rupture liée à l'adhésion des surréalistes au communisme. Des divergences sont déjà apparues dès le numéro un dans le groupe. Artaud a tenté de reprendre en main cette Centrale Surréaliste dont André Breton lui a confié la direction le 28 janvier 1925. Cependant, au moment où Breton envisage l'adhésion au Parti communiste français Artaud quitte le groupe.
1927-1930 le théâtre Alfred Jarry
Ayant quitté Dullin Artaud rejoint la compagnie de Georges et Ludmilla Pitoëff installée à la Comédie des Champs-Élysées. Puis avec Roger Vitrac, Robert Aron et l'aide matérielle du {{Dr}} René Allendy, psychiatre et psychanalyste, qui le soigne, il fonde le Théâtre Alfred Jarry en 1927. Il définit une conception nouvelle de l'art dramatique, publiée plus tard, en 1929-1930, dans une brochure intitulée Théâtre Alfred Jarry et l'Hostilité publique, rédigée par Roger Vitrac en collaboration avec Antonin Artaud qui rappelle les objectifs du Théâtre Alfred Jarry {{Citation}}, mais aussi de {{Citation}}
Le Théâtre Alfred Jarry présente quatre séries de spectacles : Les Mystères de l'amour de Vitrac, Ventre brûlé ou la Mère folle d'Artaud et Gigogne de Max Robur (pseudonyme de Robert Aron), Le Songe d'August Strindberg perturbé par les surréalistes (juin 1927), le troisième acte du Partage de midi de Paul Claudel joué contre la volonté de l'auteur qu'Artaud qualifie publiquement d'« infâme traître ». Il s'ensuit une brouille avec Jean Paulhan et la reconsidération des surréalistes (janvier 1928). Victor ou les enfants au pouvoir de Vitrac sera la dernière représentation (décembre 1928).
En 1971, Jean-Louis Barrault fait un rapprochement entre Alfred Jarry et Antonin Artaud : {{Citation}}
1930-1935, Artaud au cinéma, au théâtre et en littérature
De juillet à décembre 1929, Antonin Artaud et Roger Vitrac élaborent la brochure qui sera intitulée Théâtre Alfred jarry et l'Hostilité publique, et il refuse de signer le second manifeste du surréalisme qui attaque Breton. La brochure, qui parait en 1930 est un ensemble de photo montages, mis en scène par Artaud, photographiés par Eli Lotar. Roger Vitrac, Artaud, et son amie Josett Lusson ont posé pour les photos. Artaud rédige deux projets de mise en scène, un pour Sonate de Strinberg, l'autre pour Le Coup de Trafalgar de Roger Vitrac. Mais il décide de quitter le Théâtre Alfred Jarry. Il s'en explique dans une lettre à Jean Paulhan du 16 mars 1930 : {{Citation}}
Mais Artaud, qui mène de front ses activités littéraires, cinématographiques et théâtrales, a déjà la tête ailleurs. En 1931, il assiste à un spectacle du Théâtre Balinais présenté dans le cadre de l'Exposition coloniale et fait part à Louis Jouvet de la forte impression ressentie : {{citation bloc}}
Poursuivant sa quête d'un théâtre du rêve et du grotesque, du risque et de la mise en danger, Artaud écrit successivement deux manifestes du Théâtre de la Cruauté : {{citation bloc}}
Sa première réalisation, Les Cenci, jouée dans des décors et des costumes de Balthus, au théâtre des Folies-Wagram s'arrête faute de moyens financiers. La pièce est retirée de l'affiche après 17 représentations (1935). La critique est partagée et l'article élogieux de Pierre Jean Jouve dans la NRF arrivera trop tard. Artaud considère cela comme un « demi ratage » : {{Citation}} Cette expérience marque la fin de l'aventure théâtrale d'Antonin Artaud qui envisage déjà de partir au Mexique pour « se CHERCHER » ainsi qu'il l'écrit à Jean Paulhan dans une lettre du 19 juillet 1935
Le 6 avril 1938, paraît un recueil de textes sous le titre Le Théâtre et son double comprenant Le Théâtre et la peste, texte d'une conférence littéralement incarnée. Artaud y jouait sur scène les dernières convulsions d'un pestiféré {{Citation}} Selon le récit d'Anaïs Nin, les gens eurent d'abord le souffle coupé, puis ils commencèrent à rire, puis un à un ils commencèrent à s'en aller.{{Citation}}
Déçu par le théâtre qui ne lui propose que de petits rôles, Artaud espère du cinéma une carrière d'une autre envergure. {{citation}} Il s'adresse alors à son cousin Louis Nalpas, directeur artistique de la Société des Cinéromans, qui lui obtient un rôle dans Surcouf, le roi des corsaires de Luitz-Morat et dans Fait divers, un court-métrage de Claude Autant-Lara, tourné en mars 1924, dans lequel il interprète « Monsieur 2 », l'amant étranglé au ralenti par le mari.
Toujours par l'intermédiaire de son cousin, Artaud rencontre Abel Gance avec qui il sympathise au grand étonnement de l'entourage du cinéaste, réputé d'accès difficile. Pour son film Napoléon en préparation, Abel Gance lui promet le rôle de Marat.
Artaud commence à écrire des scénarios dans lesquels il essaie de « rejoindre le cinéma avec la réalité intime du cerveau ». Ainsi Dix-huit secondes propose de dérouler sur l'écran les images qui défilent dans l'esprit d'un homme, frappé d'une « maladie bizarre », durant les dix-huit secondes précédant son suicide.
À la fin de l'année 1927, apprenant la préparation du film La Chute de la maison Usher de Jean Epstein, Artaud propose à Abel Gance de jouer le rôle de Roderick Usher : {{citation}} Après quelques essais, Artaud ne sera pas retenu pour cause de « suracuité de son interprétation »{{référence nécessaire}}.
La même année, Artaud justifie auprès des surréalistes sa participation au tournage du film de Léon Poirier, Verdun, visions d'histoire, au motif que {{citation bloc}} De la dizaine de scénarios écrits et proposés, un seul sera tourné : La Coquille et le Clergyman par Germaine Dulac. Artaud exprime ses objectifs : {{citation bloc}}
Engagé en même temps par Carl Theodor Dreyer pour son film La Passion de Jeanne d'Arc, Artaud délaisse le rôle du clergyman qui lui était dévolu et ne suit que par intermittence la réalisation de La Coquille. Le soir de la première projection au Studio des Ursulines, le 9 février 1928, les surréalistes venus en groupe à la séance manifestent bruyamment leur désapprobation.
Dès lors, la magie du cinéma n'existe plus pour lui. Il poursuit malgré tout une carrière d'acteur, pour subvenir à ses besoins. L'avènement du parlant le détourne de cette {{citation}} à laquelle il oppose {{citation}}
En 1933, dans un article paru dans le numéro spécial Cinéma 83 {{n°}} Les Cahiers jaunes il écrit un éloge funèbre du cinéma : « La Vieillesse précoce du cinéma » {{citation bloc}} En 1935, il apparaît deux ultimes fois dans Lucrèce Borgia d'Abel Gance et dans Kœnigsmark de Maurice Tourneur.
Antonin Artaud a tourné dans plus d'une vingtaine de films, sans jamais avoir obtenu le moindre premier rôle ni même un second rôle d'importance.
1936-1937 de voyages en dérives
En 1936, Artaud part pour le Mexique et se rend à cheval chez les Tarahumaras pour être initié aux rites du soleil et du peyotl.
Il se rend ensuite à Bruxelles en vue de fiançailles avec Cécile Schramme. Lors d'une conférence, à laquelle assiste Louis Schramme, le père de sa future fiancée, directeur des tramways de Bruxelles, il fait ce que les psychiatres appellent un barrage et se met à déclamer brutalement sur les effets de la masturbation chez les pères jésuites. Il s'ensuit une rupture des fiançailles.
Le 23 septembre 1937, Antonin Artaud est arrêté à Dublin pour vagabondage et trouble de l'ordre public. Le 29, il est embarqué de force sur un paquebot américain faisant escale au Havre. Dès son arrivée, le lendemain, Artaud est remis directement aux autorités françaises qui le conduisent à l'Hôpital général, entravé dans une camisole de force. On le place dans le service des aliénés. Jugé violent, dangereux pour lui-même et pour les autres et souffrant d'hallucinations et d'idées de persécution, il est transféré sous placement d'office à l'hôpital psychiatrique Les Quatre-Mares de Sotteville-lès-Rouen. Artaud racontera plus tard qu'à bord du bateau, on a voulu l'assassiner.
Les premiers internements 1937-1943
Ce n'est qu'en décembre que sa mère, avec l'aide de Jean Paulhan, apprend l'endroit de son internement, et après trois mois de démarches, elle obtient le transfert, le {{1er}} avril 1938, au centre psychiatrique Sainte-Anne à Paris.
Artaud refuse toute visite y compris de sa famille. Le certificat de quinzaine du 15 avril signé du docteur N. indique : « Prétentions littéraires peut-être justifiées dans la limite où le délire peut servir d'inspiration. À maintenir. ». Le docteur L. (peut-être Jacques Lacan) indique, dans son certificat du 22 février 1939 {{Citation}}
Le 22 février 1939, Artaud est transféré à l'hôpital de Ville-Évrard (près de Neuilly-sur-Marne, Seine-Saint-Denis). Le certificat de transfert porte l'indication « graphorrhée ». À la demande de la mère d'Artaud, qui a entendu parler d'un nouveau traitement à l'électricité, Artaud est présenté au docteur Rondepierre. Un essai de traitement à l'électrochoc tourne court. Les malades connaissent effectivement alors de graves carences alimentaires qui peuvent rendre difficile l'application de ce traitement.
Les années à Rodez 1943-1946
En novembre 1942, Robert Desnos prend contact avec le docteur Gaston Ferdière, ami de longue date des surréalistes et médecin-chef de l'hôpital psychiatrique de Rodez (Aveyron), situé en zone « non-occupée » où la pénurie alimentaire semble moins sévère. Mais les hôpitaux psychiatriques subissent les mêmes, sinon de pires, restrictions que l'ensemble de la population. Les démarches aboutissent et Artaud est transféré le 22 janvier 1943. Il y subira alors cinquante-huit électrochocs{{,}}{{,}}.
En septembre 1945, Jean Dubuffet rend visite à Antonin Artaud. Il s'ensuivra avec Jean et madame Dubuffet une correspondance affective, d'autant plus que les recherches de Dubuffet le conduisent très souvent dans des asiles d'aliénés. En 1946, Dubuffet fait le portrait d'Artaud : Antonin Artaud, cheveux épanouis {{,}}
Retour à Paris, dernières années 1947-1948
Les amis d'Artaud, Arthur Adamov, Marthe Robert et Jean Paulhan, obtiennent qu'il sorte de l'asile de Rodez, le 26 mai 1946. En septembre 1946, il écrit L'Adresse au Dalaï Lama et L'Adresse au Pape à l'auberge du Sans-Souci à Sainte-Maxime (Var). Il y termine aussi Le Retour d'Artaud le Momo et corrige des textes de 1925 pour les faire figurer dans ses œuvres complètes. Il retourne à Paris où il vivra encore deux ans.
Le 13 janvier 1947, devant une salle comble au Théâtre du Vieux-Colombier, Artaud fait un retour éclatant sur scène avec une conférence intitulée d'après l'affiche : Histoire vécue d'Artaud-Momo, Tête à tête par Antonin Artaud, Le Retour d'Artaud le Momo Centre Mère et Patron Minet-La Culture indienne. Selon André Gide, {{citation bloc}}
Durant cette période, il est hébergé dans une clinique d'Ivry-sur-Seine, mais il est libre de ses mouvements. Il y écrit sur plus de quatre cents cahiers d'écolier, dessine des autoportraits et des portraits de ses amis à la mine de plomb et craies de couleurs. En novembre 1947, il enregistre pour la radio Pour en finir avec le Jugement de Dieu avec la participation de Maria Casarès, Paule Thévenin et Roger Blin. Programmé pour le {{1er}} février 1948, le directeur de la Radiodiffusion française, Wladimir Porché qui avait écouté l'enregistrement la veille, effrayé par le langage trop cru d'Artaud, décide d'interdire l'émission. Il allait en cela à l'encontre d'un verdict favorable à sa diffusion, rendu par un jury d'artistes et de journalistes réunis autour de Fernand Pouey. {{Citation bloc}}
Le texte fera l'objet d'une publication posthume en avril 1948. La même année, Artaud publie Van Gogh le suicidé de la société, où il affirme que le peintre n'était pas fou et s'en prend violemment aux psychiatres.
Atteint d'un cancer du rectum diagnostiqué trop tard, Antonin Artaud meurt le matin du 4 mars 1948, probablement victime d'une surdose accidentelle d'hydrate de chloral, produit dont il connaissait mal l'usage. On l'a retrouvé recroquevillé au pied de son lit. Artaud était convenu avec les éditions Gallimard de la publication de ses œuvres complètes, tâche qui fut menée pendant près de quarante ans par Paule Thévenin. Sur la dernière page de son dernier cahier de brouillon (cahier 406, feuillet 11), on a pu lire ses dernières phrases : {{citation bloc}}
Il est enterré civilement au cimetière Saint-Pierre à Marseille, où ses restes ont été transférés depuis le cimetière parisien d'Ivry en 1975.
Surréalisme pour et contre
L'esthétique d'Artaud se construit constamment en rapport au surréalisme, d'abord en s'en inspirant, puis en le rejetant (notamment sous la forme que lui donne André Breton).
André Breton, dans son premier Manifeste du surréalisme (1924), mentionne Artaud en passant, sans lui accorder une importance particulière. Le second Manifeste (1930) arrive après la rupture d'Artaud avec les surréalistes, et Breton lui adresse une critique sévère, quoiqu'esthétiquement peu développée (ses griefs sont surtout d'ordre personnel). Il dénonce notamment le fait que l'« idéal en tant qu'homme de théâtre » d'« organiser des spectacles qui pussent rivaliser en beauté avec les rafles de police » était « naturellement celui de M. Artaud ».
Ce jugement qui paraissait irrévocable est corrigé par André Breton après l'hospitalisation d'Artaud : dans l{{'}}Avertissement pour la réédition du second manifeste (1946), Breton dit n'avoir plus aucun tort à compter à Desnos et Artaud, à cause des « événements ».(Desnos est mort en camp de concentration et Artaud passe plusieurs mois en psychiatrie à subir des électrochocs). Pure politesse peut-être ; reste que Breton, dans des entretiens publiés en 1952, reconnaît à Artaud une profonde influence sur la démarche surréaliste. Il dit également de lui qu'il était « en plus grand conflit que nous tous avec la vie ».
Pour Jean-Pierre Le Goff, la démarche surréaliste est essentiellement ambivalente, « marquée à ses deux pôles par les figures d'André Breton et Antonin Artaud ». Ces deux visions du surréalisme sont comme opposées et complémentaires à la fois. Breton cherchait essentiellement la beauté et l'émerveillement dans la vie, il souhaitait dompter au moyen de l'art « l'altérité inquiétante » de l'inconscient, centrant sa pensée sur la « dynamique positive de l'Eros » aboutissant à la révolution.
Artaud rompt avec cette vision de la poésie et de la vie, expliquant dans son texte « À la grande nuit ou le bluff surréaliste » qu'« ils [les surréalistes] aiment autant la vie que je la méprise ». La rage d'exister d'Artaud n'est pas caractérisée par la capacité de s'émerveiller, mais au contraire par la souffrance et l'angoisse incurables. Cela se ressent dans son esthétique littéraire : Artaud déclare dans Le Pèse-nerfs que « toute l'écriture est de la cochonnerie » . Artaud s'éloigne ainsi irrémédiablement de tout platonisme en art : {{Citation}}
Le regard posé par Artaud sur Breton était ambivalent. En 1937, au moment où il écrit les Nouvelles révélations de l'être, il appelle Breton « l'Ange Gabriel ». Il s'adresse à lui de la même façon dans les lettres qu'il lui écrit depuis l'Irlande. Mais Breton est aussi celui dont Artaud dira (à son ami Jacques Prevel), vers la fin de sa vie, à Paris : "si vous remuiez la poésie d'André Breton avec un crochet de chiffonnier, vous y trouveriez des vers" (in En compagnie d'Antonin Artaud, de J. Prevel).